← Mon père me refusait constamment des permissions qui m’avaient été consenties dans les pactes plus larges octroyés par ma mère et ma grand’mère parce qu’il ne se souciait pas des «principes» et qu’il n’y avait pas avec lui de «Droit des gens». Pour une raison toute contingente, ou même sans raison, il me supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle, si consacrée, qu’on ne pouvait m’en priver sans parjure, ou bien, comme il avait encore fait ce soir, longtemps avant l’heure rituelle, il me disait: «Allons, monte te coucher, pas d’explication!» Mais aussi, parce qu’il n’avait pas de principes (dans le sens de ma grand’mère), il n’avait pas à proprement parler d’intransigeance. 🔊✎
← Pense bien: tu ne seras pas déçu de ne rien avoir après-demain?» J’étais au contraire enchanté et maman alla chercher un paquet de livres dont je ne pus deviner, à travers le papier qui les enveloppait, que la taille courte et large, mais qui, sous ce premier aspect, pourtant sommaire et voilé, éclipsaient déjà la boîte à couleurs du Jour de l’An et les vers à soie de l’an dernier. 🔊✎
← Ma grand’mère, ai-je su depuis, avait d’abord choisi les poésies de Musset, un volume de Rousseau et Indiana; car si elle jugeait les lectures futiles aussi malsaines que les bonbons et les pâtisseries, elles ne pensait pas que les grands souffles du génie eussent sur l’esprit même d’un enfant une influence plus dangereuse et moins vivifiante que sur son corps le grand air et le vent du large. 🔊✎
← Mais quand mes angoisses étaient calmées, je ne les comprenais plus; puis demain soir était encore lointain; je me disais que j’aurais le temps d’aviser, bien que ce temps-là ne pût m’apporter aucun pouvoir de plus, qu’il s’agissait de choses qui ne dépendaient pas de ma volonté et que seul me faisait paraître plus évitables l’intervalle qui les séparait encore de moi. ... C’est ainsi que, pendant longtemps, quand, réveillé la nuit, je me ressouvenais de Combray, je n’en revis jamais que cette sorte de pan lumineux, découpé au milieu d’indistinctes ténèbres, pareil à ceux que l’embrasement d’un feu de Bengale ou quelque projection électrique éclairent et sectionnent dans un édifice dont les autres parties restent plongées dans la nuit: à la base assez large, le petit salon, la salle à manger, l’amorce de l’allée obscure par où arriverait M. Swann, l’auteur inconscient de mes tristesses, le vestibule où je m’acheminais vers la première marche de l’escalier, si cruel à monter, qui constituait à lui seul le tronc fort étroit de cette pyramide irrégulière; et, au faîte, ma chambre à coucher avec le petit couloir à porte vitrée pour l’entrée de maman; en un mot, toujours vu à la même heure, isolé de tout ce qu’il pouvait y avoir autour, se détachant seul sur l’obscurité, le décor strictement nécessaire (comme celui qu’on voit indiqué en tête des vieilles pièces pour les représentations en province), au drame de mon déshabillage; comme si Combray n’avait consisté qu’en deux étages reliés par un mince escalier, et comme s’il n’y avait jamais été que sept heures du soir. 🔊✎
← A intervalles symétriques, au milieu de l’inimitable ornementation de leurs feuilles qu’on ne peut confondre avec la feuille d’aucun autre arbre fruitier, les pommiers ouvraient leurs larges pétales de satin blanc ou suspendaient les timides bouquets de leurs rougissants boutons. 🔊✎
← Çà et là au loin dans la campagne que l’obscurité et l’humidité faisaient ressembler à la mer, des maisons isolées, accrochées au flanc d’une colline plongée dans la nuit et dans l’eau, brillaient comme des petits bateaux qui ont replié leurs voiles et sont immobiles au large pour toute la nuit. 🔊✎
← Dans l’échancrure de son corsage de crêpe Mlle Vinteuil sentit que son amie piquait un baiser, elle poussa un petit cri, s’échappa, et elles se poursuivirent en sautant, faisant voleter leurs larges manches comme des ailes et gloussant et piaillant comme des oiseaux amoureux. 🔊✎