Aussitôt Cottard, s’en rapportant aux paroles de Swann, adopta cette opinion, au sujet de la valeur d’une invitation chez M. Grévy, que c’était chose fort peu recherchée et qui courait les rues. 🔊✎ Dès lors il ne s’étonna plus que Swann, aussi bien qu’un autre, fréquentât l’Elysée, et même il le plaignait un peu d’aller à des déjeuners que l’invité avouait lui-même être ennuyeux. 🔊✎
—«Ah! bien, bien, ça va bien», dit-il sur le ton d’un douanier, méfiant tout à l’heure, mais qui, après vos explications, vous donne son visa et vous laisse passer sans ouvrir vos malles. 🔊✎
—«Ah! je vous crois qu’ils ne doivent pas être amusants ces déjeuners, vous avez de la vertu d’y aller, dit Mme Verdurin, à qui le Président de la République apparaissait comme un ennuyeux particulièrement redoutable parce qu’il disposait de moyens de séduction et de contrainte qui, employés à l’égard des fidèles, eussent été capables de les faire lâcher. Il paraît qu’il est sourd comme un pot et qu’il mange avec ses doigts.» 🔊✎
—«En effet, alors, cela ne doit pas beaucoup vous amuser d’y aller», dit le docteur avec une nuance de commisération; et, se rappelant le chiffre de huit convives: «Sont-ce des déjeuners intimes?» demanda-t-il vivement avec un zèle de linguiste plus encore qu’une curiosité de badaud. 🔊✎
Mais le prestige qu’avait à ses yeux le Président de la République finit pourtant par triompher et de l’humilité de Swann et de la malveillance de Mme Verdurin, et à chaque dîner, Cottard demandait avec intérêt: «Verrons-nous ce soir M. Swann? Il a des relations personnelles avec M. Grévy. C’est bien ce qu’on appelle un gentleman?» Il alla même jusqu’à lui offrir une carte d’invitation pour l’exposition dentaire. 🔊✎
—«Vous serez admis avec les personnes qui seront avec vous, mais on ne laisse pas entrer les chiens. Vous comprenez je vous dis cela parce que j’ai eu des amis qui ne le savaient pas et qui s’en sont mordu les doigts.» 🔊✎
Quant à M. Verdurin il remarqua le mauvais effet qu’avait produit sur sa femme cette découverte que Swann avait des amitiés puissantes dont il n’avait jamais parlé. 🔊✎
Si l’on n’avait pas arrangé une partie au dehors, c’est chez les Verdurin que Swann retrouvait le petit noyau, mais il ne venait que le soir et n’acceptait presque jamais à dîner malgré les instances d’Odette. 🔊✎
—«Je pourrais même dîner seule avec vous, si vous aimiez mieux cela», lui disait-elle. 🔊✎
—«Oh! ce serait bien simple. Je n’aurais qu’à dire que ma robe n’a pas été prête, que mon cab est venu en retard. 🔊✎ Il y a toujours moyen de s’arranger. 🔊✎