← Inutile de compter sur Swann ce soir, disait-on, vous savez bien que c’est le jour d’Opéra de son Américaine.» Il la faisait inviter dans les salons particulièrement fermés où il avait ses habitudes, ses dîners hebdomadaires, son poker; chaque soir, après qu’un léger crépelage ajouté à la brosse de ses cheveux roux avait tempéré de quelque douceur la vivacité de ses yeux verts, il choisissait une fleur pour sa boutonnière et partait pour retrouver sa maîtresse à dîner chez l’une ou l’autre des femmes de sa coterie; et alors, pensant à l’admiration et à l’amitié que les gens à la mode pour qui il faisait la pluie et le beau temps et qu’il allait retrouver là, lui prodigueraient devant la femme qu’il aimait, il retrouvait du charme à cette vie mondaine sur laquelle il s’était blasé, mais dont la matière, pénétrée et colorée chaudement d’une flamme insinuée qui s’y jouait, lui semblait précieuse et belle depuis qu’il y avait incorporé un nouvel amour. 🔊✎
← Quel rêve ce serait d’être mêlée à vos travaux!» Il s’était excusé sur sa peur des amitiés nouvelles, ce qu’il avait appelé, par galanterie, sa peur d’être malheureux. « 🔊✎
← Quant à M. Verdurin il remarqua le mauvais effet qu’avait produit sur sa femme cette découverte que Swann avait des amitiés puissantes dont il n’avait jamais parlé. 🔊✎
← Il n’y avait pas besoin qu’on eût réellement ces goûts pourvu qu’on les proclamât; d’un homme qui lui avait avoué à dîner qu’il aimait à flâner, à se salir les doigts dans les vieilles boutiques, qu’il ne serait jamais apprécié par ce siècle commercial, car il ne se souciait pas de ses intérêts et qu’il était pour cela d’un autre temps, elle revenait en disant: «Mais c’est une âme adorable, un sensible, je ne m’en étais jamais doutée!» et elle se sentait pour lui une immense et soudaine amitié. 🔊✎
← Mais, par les intimités déjà anciennes qu’il avait parmi eux, les gens du monde, dans une certaine mesure, faisaient aussi partie de sa maison, de son domestique et de sa famille. Il se sentait, à considérer ses brillantes amitiés, le même appui hors de lui-même, le même confort, qu’à regarder les belles terres, la belle argenterie, le beau linge de table, qui lui venaient des siens. 🔊✎
← Comme elle prenait toujours, quand elle parlait à Swann, de mon oncle, des airs poétiques, disant: «Ah! lui, ce n’est pas comme toi, c’est une si belle chose, si grande, si jolie, que son amitié pour moi. Ce n’est pas lui qui me considérerait assez peu pour vouloir se montrer avec moi dans tous les lieux publics», Swann fut embarrassé et ne savait pas à quel ton il devait se hausser pour parler d’elle à mon oncle. 🔊✎
← Entre M. de Charlus et elle, Swann savait qu’il ne pouvait rien se passer, que quand M. de Charlus sortait avec elle c’était par amitié pour lui et qu’il ne ferait pas difficulté à lui raconter ce qu’elle avait fait. 🔊✎
← En lui parlant, en lui écrivant, elle n’avait plus de ces mots par lesquels elle cherchait à se donner l’illusion qu’il lui appartenait, faisant naître les occasions de dire «mon», «mien», quand il s’agissait de lui: «Vous êtes mon bien, c’est le parfum de notre amitié, je le garde», de lui parler de l’avenir, de la mort même, comme d’une seule chose pour eux deux. 🔊✎
← Alors encore tout ému de son rêve, il bénit les circonstances particulières qui le rendaient indépendant, grâce auxquelles il pouvait rester près d’Odette, et aussi réussir à ce qu’elle lui permît de la voir quelquefois; et, récapitulant tous ces avantages: sa situation,—sa fortune, dont elle avait souvent trop besoin pour ne pas reculer devant une rupture (ayant même, disait-on, une arrière-pensée de se faire épouser par lui),—cette amitié de M. de Charlus, qui à vrai dire ne lui avait jamais fait obtenir grand’chose d’Odette, mais lui donnait la douceur de sentir qu’elle entendait parler de lui d’une manière flatteuse par cet ami commun pour qui elle avait une si grande estime—et jusqu’à son intelligence enfin, qu’il employait tout entière à combiner chaque jour une intrigue nouvelle qui rendît sa présence sinon agréable, du moins nécessaire à Odette—il songea à ce qu’il serait devenu si tout cela lui avait manqué, il songea que s’il avait été, comme tant d’autres, pauvre, humble, dénué, obligé d’accepter toute besogne, ou lié à des parents, à une épouse, il aurait pu être obligé de quitter Odette, que ce rêve dont l’effroi était encore si proche aurait pu être vrai, et il se dit: «On ne connaît pas son bonheur. 🔊✎
← Mais à ce moment, par une de ces inspirations de jaloux, analogues à celle qui apporte au poète ou au savant, qui n’a encore qu’une rime ou qu’une observation, l’idée ou la loi qui leur donnera toute leur puissance, Swann se rappela pour la première fois une phrase qu’Odette lui avait dite il y avait déjà deux ans: «Oh! Mme Verdurin, en ce moment il n’y en a que pour moi, je suis un amour, elle m’embrasse, elle veut que je fasse des courses avec elle, elle veut que je la tutoie.» Loin de voir alors dans cette phrase un rapport quelconque avec les absurdes propos destinés à simuler le vice que lui avait racontés Odette, il l’avait accueillie comme la preuve d’une chaleureuse amitié. 🔊✎