← Toujours est-il qu’elle lui avait fait promettre de ne jamais prononcer son nom. La raison pour laquelle elle ne voulait pas aller dans le monde, lui avait-elle dit, était une brouille qu’elle avait eue autrefois avec une amie qui, pour se venger, avait ensuite dit du mal d’elle. Swann objectait: «Mais tout le monde n’a pas connu ton amie.»—«Mais si, ça fait la tache d’huile, le monde est si méchant.» D’une part Swann ne comprit pas cette histoire, mais d’autre part il savait que ces propositions: «Le monde est si méchant», «un propos calomnieux fait la tache d’huile», sont généralement tenues pour vraies; il devait y avoir des cas auxquels elles s’appliquaient. 🔊✎
← Mais de même que les propos, les sourires, les baisers d’Odette lui devenaient aussi odieux qu’il les avait trouvés doux, s’ils étaient adressés à d’autres que lui, de même, le salon des Verdurin, qui tout à l’heure encore lui semblait amusant, respirant un goût vrai pour l’art et même une sorte de noblesse morale, maintenant que c’était un autre que lui qu’Odette allait y rencontrer, y aimer librement, lui exhibait ses ridicules, sa sottise, son ignominie. 🔊✎
← Le soir, causant avec M. de Charlus avec qui il avait la douceur de pouvoir parler d’elle ouvertement (car les moindres propos qu’il tenait, même aux personnes qui ne la connaissaient pas, se rapportaient en quelque manière à elle), il lui dit: 🔊✎
← Cette ressemblance ne frappait pas parce que rien n’était plus différent que leurs deux voix. Mais si on parvenait par la pensée à ôter aux propos de Swann la sonorité qui les enveloppait, les moustaches d’entre lesquelles ils sortaient, on se rendait compte que c’étaient les mêmes phrases, les mêmes inflexions, le tour de la coterie Guermantes. 🔊✎
← Il chercha qui cela pouvait être. Mais il n’avait jamais eu aucun soupçon des actions inconnues des êtres, de celles qui sont sans liens visibles avec leurs propos. 🔊✎
← Seulement de temps à autre, il laissait entendre à Odette que par méchanceté, on lui racontait tout ce qu’elle faisait; et, se servant à propos, d’un détail insignifiant mais vrai, qu’il avait appris par hasard, comme s’il était le seul petit bout qu’il laissât passer malgré lui, entre tant d’autres, d’une reconstitution complète de la vie d’Odette qu’il tenait cachée en lui, il l’amenait à supposer qu’il était renseigné sur des choses qu’en réalité il ne savait ni même ne soupçonnait, car si bien souvent il adjurait Odette de ne pas altérer la vérité, c’était seulement, qu’il s’en rendît compte ou non, pour qu’Odette lui dît tout ce qu’elle faisait. 🔊✎
← De ce qu’Odette mentait quelquefois, on ne pouvait conclure qu’elle ne disait jamais la vérité et dans ces propos qu’elle avait échangés avec Mme Verdurin et qu’elle avait racontés elle-même à Swann, il avait reconnu ces plaisanteries inutiles et dangereuses que, par inexpérience de la vie et ignorance du vice, tiennent des femmes dont ils révèlent l’innocence, et qui—comme par exemple Odette—sont plus éloignées qu’aucune d’éprouver une tendresse exaltée pour une autre femme. 🔊✎
← Mais à ce moment, par une de ces inspirations de jaloux, analogues à celle qui apporte au poète ou au savant, qui n’a encore qu’une rime ou qu’une observation, l’idée ou la loi qui leur donnera toute leur puissance, Swann se rappela pour la première fois une phrase qu’Odette lui avait dite il y avait déjà deux ans: «Oh! Mme Verdurin, en ce moment il n’y en a que pour moi, je suis un amour, elle m’embrasse, elle veut que je fasse des courses avec elle, elle veut que je la tutoie.» Loin de voir alors dans cette phrase un rapport quelconque avec les absurdes propos destinés à simuler le vice que lui avait racontés Odette, il l’avait accueillie comme la preuve d’une chaleureuse amitié. 🔊✎
← Tu te souviens de l’idée que j’avais eue à propos de toi et de Mme Verdurin? 🔊✎
← A propos de tout, si on voyait un tableau par exemple elle disait: «Ah! s’il était là, c’est lui qui saurait vous dire si c’est authentique ou non. Il n’y a personne comme lui pour ça.» Et à tout moment elle demandait: «Qu’est-ce qu’il peut faire en ce moment? Si seulement il travaillait un peu! 🔊✎