tendresse

www.linternaute.fr

Si, à la devanture d’un fleuriste ou d’un joaillier, la vue d’un arbuste ou d’un bijou le charmait, aussitôt il pensait à les envoyer à Odette, imaginant le plaisir qu’ils lui avaient procuré, ressenti par elle, venant accroître la tendresse qu’elle avait pour lui, et les faisait porter immédiatement rue La Pérouse, pour ne pas retarder l’instant , comme elle recevrait quelque chose de lui, il se sentirait en quelque sorte près d’elle. 🔊

Mais aussitôt sa jalousie, comme si elle était l’ombre de son amour, se complétait du double de ce nouveau sourire qu’elle lui avait adressé le soir mêmeet qui, inverse maintenant, raillait Swann et se chargeait d’amour pour un autre—, de cette inclinaison de sa tête mais renversée vers d’autres lèvres, et, données à un autre, de toutes les marques de tendresse qu’elle avait eues pour lui. 🔊

Car la tendresse de Swann continuait à garder le même caractère que lui avait imprimé dès le début à la fois l’ignorance il était de l’emploi des journées d’Odette et la paresse cérébrale qui l’empêchait de suppléer à l’ignorance par l’imagination. 🔊

Alors, progressivement reparaissait et s’élevait en brillant doucement, le visage de l’autre Odette, de celle qui adressait aussi un sourire à Forcheville, mais un sourire il n’y avait pour Swann que de la tendresse, quand elle disait: «Ne restez pas longtemps, car ce monsieur-là n’aime pas beaucoup que j’aie des visites quand il a envie d’être auprès de moi. Ah! si vous connaissiez cet être-là autant que je le connais!», ce même sourire qu’elle avait pour remercier Swann de quelque trait de sa délicatesse qu’elle prisait si fort, de quelque conseil qu’elle lui avait demandé dans une de ces circonstances graves elle n’avait confiance qu’en lui. 🔊

Maintenant qu’après cette oscillation, Odette était naturellement revenue à la place d’ la jalousie de Swann l’avait un moment écartée, dans l’angle il la trouvait charmante, il se la figurait pleine de tendresse, avec un regard de consentement, si jolie ainsi, qu’il ne pouvait s’empêcher d’avancer les lèvres vers elle comme si elle avait été et qu’il eût pu l’embrasser; et il lui gardait de ce regard enchanteur et bon autant de reconnaissance que si elle venait de l’avoir réellement et si cela n’eût pas été seulement son imagination qui venait de le peindre pour donner satisfaction à son désir. 🔊

Ainsi, par le chimisme même de son mal, après qu’il avait fait de la jalousie avec son amour, il recommençait à fabriquer de la tendresse, de la pitié pour Odette. Elle était redevenue l’Odette charmante et bonne. 🔊

Elle y revenait sans plus trouver de résistance, et d’ailleurs si irrésistible que Swann avait eu bien moins de peine à sentir s’approcher un à un les quinze jours qu’il devait rester séparé d’Odette, qu’il n’en avait à attendre les dix minutes que son cocher mettait pour atteler la voiture qui allait l’emmener chez elle et qu’il passait dans des transports d’impatience et de joie il ressaisissait mille fois pour lui prodiguer sa tendresse cette idée de la retrouver qui, par un retour si brusque, au moment il la croyait si loin, était de nouveau près de lui dans sa plus proche conscience. 🔊

De ces chagrins dont elle lui parlait autrefois et qu’il la voyait, sans qu’il fût atteint par eux, entraîner en souriant dans son cours sinueux et rapide, de ces chagrins qui maintenant étaient devenus les siens sans qu’il eût l’espérance d’en être jamais délivré, elle semblait lui dire comme jadis de son bonheur: «Qu’est-ce, cela? tout cela n’est rienEt la pensée de Swann se porta pour la première fois dans un élan de pitié et de tendresse vers ce Vinteuil, vers ce frère inconnu et sublime qui lui aussi avait tant souffrir; qu’avait pu être sa vie? au fond de quelles douleurs avait-il puisé cette force de dieu, cette puissance illimitée de créer? Quand c’était la petite phrase qui lui parlait de la vanité de ses souffrances, Swann trouvait de la douceur à cette même sagesse qui tout à l’heure pourtant lui avait paru intolérable, quand il croyait la lire dans les visages des indifférents qui considéraient son amour comme une divagation sans importance. 🔊

De ce qu’Odette mentait quelquefois, on ne pouvait conclure qu’elle ne disait jamais la vérité et dans ces propos qu’elle avait échangés avec Mme Verdurin et qu’elle avait racontés elle-même à Swann, il avait reconnu ces plaisanteries inutiles et dangereuses que, par inexpérience de la vie et ignorance du vice, tiennent des femmes dont ils révèlent l’innocence, et quicomme par exemple Odettesont plus éloignées qu’aucune d’éprouver une tendresse exaltée pour une autre femme. 🔊

S’il était resté longtemps sans la voir, ceux qui mouraient n’auraient pas été remplacés par d’autres. Mais la présence d’Odette continuait d’ensemencer le cœur de Swann de tendresse et de soupçons alternés. 🔊

Frequency index

Alphabetical index