← Et ce fut Swann, qui, avant qu’elle le laissât tomber, comme malgré elle, sur ses lèvres, le retint un instant, à quelque distance, entre ses deux mains. 🔊✎
← Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres?» Ou bien, si elle n’en avait pas: «Oh! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements.» De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore «faire catleya», devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique—où d’ailleurs l’on ne possède rien,—survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. 🔊✎
← Aussi, quand elle avait l’air heureux parce qu’elle devait aller à la Reine Topaze, ou que son regard devenait sérieux, inquiet et volontaire, si elle avait peur de manquer la rite des fleurs ou simplement l’heure du thé, avec muffins et toasts, au «Thé de la Rue Royale» où elle croyait que l’assiduité était indispensable pour consacrer la réputation d’élégance d’une femme, Swann, transporté comme nous le sommes par le naturel d’un enfant ou par la vérité d’un portrait qui semble sur le point de parler, sentait si bien l’âme de sa maîtresse affleurer à son visage qu’il ne pouvait résister à venir l’y toucher avec ses lèvres. « 🔊✎
← Quand il quittait Odette, il était heureux, il se sentait calme, il se rappelait les sourires qu’elle avait eus, railleurs, en parlant de tel ou tel autre, et tendres pour lui, la lourdeur de sa tête qu’elle avait détachée de son axe pour l’incliner, la laisser tomber, presque malgré elle, sur ses lèvres, comme elle avait fait la première fois en voiture, les regards mourants qu’elle lui avait jetés pendant qu’elle était dans ses bras, tout en contractant frileusement contre l’épaule sa tête inclinée. 🔊✎
← Mais aussitôt sa jalousie, comme si elle était l’ombre de son amour, se complétait du double de ce nouveau sourire qu’elle lui avait adressé le soir même—et qui, inverse maintenant, raillait Swann et se chargeait d’amour pour un autre—, de cette inclinaison de sa tête mais renversée vers d’autres lèvres, et, données à un autre, de toutes les marques de tendresse qu’elle avait eues pour lui. 🔊✎
← Maintenant qu’après cette oscillation, Odette était naturellement revenue à la place d’où la jalousie de Swann l’avait un moment écartée, dans l’angle où il la trouvait charmante, il se la figurait pleine de tendresse, avec un regard de consentement, si jolie ainsi, qu’il ne pouvait s’empêcher d’avancer les lèvres vers elle comme si elle avait été là et qu’il eût pu l’embrasser; et il lui gardait de ce regard enchanteur et bon autant de reconnaissance que si elle venait de l’avoir réellement et si cela n’eût pas été seulement son imagination qui venait de le peindre pour donner satisfaction à son désir. 🔊✎
← Au fur et à mesure qu’elle avançait dans sa toilette, chaque mouvement qu’elle faisait rapprochait Swann du moment où il faudrait la quitter, où elle s’enfuirait d’un élan irrésistible; et quand, enfin prête, plongeant une dernière fois dans son miroir ses regards tendus et éclairés par l’attention, elle remettait un peu de rouge à ses lèvres, fixait une mèche sur son front et demandait son manteau de soirée bleu ciel avec des glands d’or, Swann avait l’air si triste qu’elle ne pouvait réprimer un geste d’impatience et disait: «Voilà comme tu me remercies de t’avoir gardé jusqu’à la dernière minute. Moi qui croyais avoir fait quelque chose de gentil. C’est bon à savoir pour une autre fois!» Parfois, au risque de la fâcher, il se promettait de chercher à savoir où elle était allée, il rêvait d’une alliance avec Forcheville qui peut-être aurait pu le renseigner. 🔊✎
← La fin de la phrase commencée chanta d’elle-même sur ses lèvres. 🔊✎
← Et elle murmura «C’est toujours charmant», avec un double ch au commencement du mot qui était une marque de délicatesse et dont elle sentait ses lèvres si romanesquement froissées comme une belle fleur, qu’elle harmonisa instinctivement son regard avec elles en lui donnant à ce moment-là une sorte de sentimentalité et de vague. 🔊✎
← Et tandis qu’elle passait, légère, apaisante et murmurée comme un parfum, lui disant ce qu’elle avait à lui dire et dont il scrutait tous les mots, regrettant de les voir s’envoler si vite, il faisait involontairement avec ses lèvres le mouvement de baiser au passage le corps harmonieux et fuyant. 🔊✎