← Mais aussitôt sa jalousie, comme si elle était l’ombre de son amour, se complétait du double de ce nouveau sourire qu’elle lui avait adressé le soir même—et qui, inverse maintenant, raillait Swann et se chargeait d’amour pour un autre—, de cette inclinaison de sa tête mais renversée vers d’autres lèvres, et, données à un autre, de toutes les marques de tendresse qu’elle avait eues pour lui. 🔊✎
← Maintenant qu’après cette oscillation, Odette était naturellement revenue à la place d’où la jalousie de Swann l’avait un moment écartée, dans l’angle où il la trouvait charmante, il se la figurait pleine de tendresse, avec un regard de consentement, si jolie ainsi, qu’il ne pouvait s’empêcher d’avancer les lèvres vers elle comme si elle avait été là et qu’il eût pu l’embrasser; et il lui gardait de ce regard enchanteur et bon autant de reconnaissance que si elle venait de l’avoir réellement et si cela n’eût pas été seulement son imagination qui venait de le peindre pour donner satisfaction à son désir. 🔊✎
← Il revenait à ce point de vue—opposé à celui de son amour et de sa jalousie et auquel il se plaçait quelquefois par une sorte d’équité intellectuelle et pour faire la part des diverses probabilités—d’où il essayait de juger Odette comme s’il ne l’avait pas aimée, comme si elle était pour lui une femme comme les autres, comme si la vie d’Odette n’avait pas été, dès qu’il n’était plus là, différente, tramée en cachette de lui, ourdie contre lui. 🔊✎
← Car sitôt que Swann pouvait se la représenter sans horreur, qu’il revoyait de la bonté dans son sourire, et que le désir de l’enlever à tout autre, n’était plus ajouté par la jalousie à son amour, cet amour redevenait surtout un goût pour les sensations que lui donnait la personne d’Odette, pour le plaisir qu’il avait à admirer comme un spectacle ou à interroger comme un phénomène, le lever d’un de ses regards, la formation d’un de ses sourires, l’émission d’une intonation de sa voix. 🔊✎
← Ainsi, par le chimisme même de son mal, après qu’il avait fait de la jalousie avec son amour, il recommençait à fabriquer de la tendresse, de la pitié pour Odette. Elle était redevenue l’Odette charmante et bonne. 🔊✎
← Si Odette dans la rue ayant reçu d’un passant un salut qui avait éveillé la jalousie de Swann, elle répondait aux questions de celui-ci en rattachant l’existence de l’inconnu à un des deux ou trois grands devoirs dont elle lui parlait, si, par exemple, elle disait: «C’est un monsieur qui était dans la loge de mon amie avec qui je vais à l’Hippodrome», cette explication calmait les soupçons de Swann, qui en effet trouvait inévitable que l’amie eût d’autre invités qu’Odette dans sa loge à l’Hippodrome, mais n’avait jamais cherché ou réussi à se les figurer. 🔊✎
← Un jour, étant dans la période de calme la plus longue qu’il eût encore pu traverser sans être repris d’accès de jalousie, il avait accepté d’aller le soir au théâtre avec la princesse des Laumes. 🔊✎
← La vie de l’amour de Swann, la fidélité de sa jalousie, étaient faites de la mort, de l’infidélité, d’innombrables désirs, d’innombrables doutes, qui avaient tous Odette pour objet. 🔊✎
← Parfois le nom aperçu dans un journal, d’un des hommes qu’il supposait avoir pu être les amants d’Odette, lui redonnait de la jalousie. 🔊✎
← Et de même qu’avant d’embrasser Odette pour la première fois il avait cherché à imprimer dans sa mémoire le visage qu’elle avait eu si longtemps pour lui et qu’allait transformer le souvenir de ce baiser, de même il eût voulu, en pensée au moins, avoir pu faire ses adieux, pendant qu’elle existait encore, à cette Odette lui inspirant de l’amour, de la jalousie, à cette Odette lui causant des souffrances et que maintenant il ne reverrait jamais. 🔊✎