← Et tandis que la vue purement charnelle qu’il avait eue de cette femme, en renouvelant perpétuellement ses doutes sur la qualité de son visage, de son corps, de toute sa beauté, affaiblissait son amour, ces doutes furent détruits, cet amour assuré quand il eut à la place pour base les données d’une esthétique certaine; sans compter que le baiser et la possession qui semblaient naturels et médiocres s’ils lui étaient accordés par une chair abîmée, venant couronner l’adoration d’une pièce de musée, lui parurent devoir être surnaturels et délicieux. 🔊✎
← Ils foisonnent si pressés les uns contre les autres; et l’on aurait autant de peine à compter les baisers qu’on s’est donnés pendant une heure que les fleurs d’un champ au mois de mai. 🔊✎
← Alors elle faisait mine de s’arrêter, disant: «Comment veux-tu que je joue comme cela si tu me tiens, je ne peux tout faire à la fois, sache au moins ce que tu veux, est-ce que je dois jouer la phrase ou faire des petites caresses», lui se fâchait et elle éclatait d’un rire qui se changeait et retombait sur lui, en une pluie de baisers. 🔊✎
← Il se rendait compte alors que cet intérêt, cette tristesse n’existaient qu’en lui comme une maladie, et que quand celle-ci serait guérie, les actes d’Odette, les baisers qu’elle aurait pu donner redeviendraient inoffensifs comme ceux de tant d’autres femmes. 🔊✎
← Mais de même que les propos, les sourires, les baisers d’Odette lui devenaient aussi odieux qu’il les avait trouvés doux, s’ils étaient adressés à d’autres que lui, de même, le salon des Verdurin, qui tout à l’heure encore lui semblait amusant, respirant un goût vrai pour l’art et même une sorte de noblesse morale, maintenant que c’était un autre que lui qu’Odette allait y rencontrer, y aimer librement, lui exhibait ses ridicules, sa sottise, son ignominie. 🔊✎
← Elle ne lui disait plus comme au premier temps de leur amour: «Nous nous venons en tous cas demain soir, il y a un souper chez les Verdurin.» Mais: «Nous ne pourrons pas nous voir demain soir, il y a un souper chez les Verdurin.» Ou bien les Verdurin devaient l’emmener à l’Opéra-Comique voir «Une nuit de Cléopâtre» et Swann lisait dans les yeux d’Odette cet effroi qu’il lui demandât de n’y pas aller, que naguère il n’aurait pu se retenir de baiser au passage sur le visage de sa maîtresse, et qui maintenant l’exaspérait. « 🔊✎
← Elle sentait qu’il désirait lui entendre dire: «Ne le prends plus pour venir chez moi», comme il aurait désiré un baiser. 🔊✎
← Il n’osait l’embrasser, ne sachant si en elle, si en lui, c’était l’affection ou la colère qu’un baiser réveillerait. 🔊✎
← Un soir qu’il était ainsi, sur l’ordre qu’elle lui en avait donné, rentré avec elle, et qu’elle entremêlait ses baisers de paroles passionnées qui contrastaient avec sa sécheresse ordinaire, il crut tout d’un coup entendre du bruit; il se leva, chercha partout, ne trouva personne, mais n’eut pas le courage de reprendre sa place auprès d’elle qui alors, au comble de la rage, brisa un vase et dit à Swann: «On ne peut jamais rien faire avec toi!» Et il resta incertain si elle n’avait pas caché quelqu’un dont elle avait voulu faire souffrir la jalousie ou allumer les sens. 🔊✎
← Et de même qu’avant d’embrasser Odette pour la première fois il avait cherché à imprimer dans sa mémoire le visage qu’elle avait eu si longtemps pour lui et qu’allait transformer le souvenir de ce baiser, de même il eût voulu, en pensée au moins, avoir pu faire ses adieux, pendant qu’elle existait encore, à cette Odette lui inspirant de l’amour, de la jalousie, à cette Odette lui causant des souffrances et que maintenant il ne reverrait jamais. 🔊✎