tristesse

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Quant à M. Verdurin, trouvant que c’était un peu fatigant de se mettre à rire pour si peu, il se contenta de tirer une bouffée de sa pipe en songeant avec tristesse qu’il ne pouvait plus rattraper sa femme sur le terrain de l’amabilité. 🔊

Il jouait avec la tristesse qu’elle répandait, il la sentait passer sur lui, mais comme une caresse qui rendait plus profond et plus doux le sentiment qu’il avait de son bonheur. 🔊

Certes il se doutait bien par moments qu’en elles-mêmes les actions quotidiennes d’Odette n’étaient pas passionnément intéressantes, et que les relations qu’elle pouvait avoir avec d’autres hommes n’exhalaient pas naturellement d’une façon universelle et pour tout être pensant, une tristesse morbide, capable de donner la fièvre du suicide. 🔊

Il se rendait compte alors que cet intérêt, cette tristesse n’existaient qu’en lui comme une maladie, et que quand celle-ci serait guérie, les actes d’Odette, les baisers qu’elle aurait pu donner redeviendraient inoffensifs comme ceux de tant d’autres femmes. 🔊

Il lui avait déjà vu une fois une telle tristesse, mais ne savait plus quand. Et tout d’un coup, il se rappela: c’était quand Odette avait menti en parlant à Mme Verdurin le lendemain de ce dîner elle n’était pas venue sous prétexte qu’elle était malade et en réalité pour rester avec Swann. 🔊

Il avait le brusque soupçon que cette heure passée chez Odette, sous la lampe, n’était peut-être pas une heure factice, à son usage à lui (destinée à masquer cette chose effrayante et délicieuse à laquelle il pensait sans cesse sans pouvoir bien se la représenter, une heure de la vraie vie d’Odette, de la vie d’Odette quand lui n’était pas ), avec des accessoires de théâtre et des fruits de carton, mais était peut-être une heure pour de bon de la vie d’Odette, que s’il n’avait pas été elle eût avancé à Forcheville le même fauteuil et lui eût versé non un breuvage inconnu, mais précisément cette orangeade; que le monde habité par Odette n’était pas cet autre monde effroyable et surnaturel il passait son temps à la situer et qui n’existait peut-être que dans son imagination, mais l’univers réel, ne dégageant aucune tristesse spéciale, comprenant cette table il allait pouvoir écrire et cette boisson à laquelle il lui serait permis de goûter, tous ces objets qu’il contemplait avec autant de curiosité et d’admiration que de gratitude, car si en absorbant ses rêves ils l’en avaient délivré, eux en revanche, s’en étaient enrichis, ils lui en montraient la réalisation palpable, et ils intéressaient son esprit, ils prenaient du relief devant ses regards, en même temps qu’ils tranquillisaient son cœur. 🔊

Quand Odette cesserait d’être pour lui une créature toujours absente, regrettée, imaginaire, quand le sentiment qu’il aurait pour elle ne serait plus ce même trouble mystérieux que lui causait la phrase de la sonate, mais de l’affection, de la reconnaissance quand s’établiraient entre eux des rapports normaux qui mettraient fin à sa folie et à sa tristesse, alors sans doute les actes de la vie d’Odette lui paraîtraient peu intéressants en eux-mêmescomme il avait déjà eu plusieurs fois le soupçon qu’ils étaient, par exemple le jour il avait lu à travers l’enveloppe la lettre adressée à Forcheville. 🔊

Le peu qui avait échappé à quelqu’un devant lui, relativement à un homme qui aurait été l’amant d’Odette avait bouleversé Swann. Mais les choses qu’il aurait avant de les connaître, trouvé le plus affreux d’apprendre et le plus impossible de croire, une fois qu’il les savait, elles étaient incorporées à tout jamais à sa tristesse, il les admettait, il n’aurait plus pu comprendre qu’elles n’eussent pas été. 🔊

Il arrivait encore parfois, quand, ayant rencontré Swann, elle voyait s’approcher d’elle quelqu’un qu’il ne connaissait pas, qu’il pût remarquer sur le visage d’Odette cette tristesse qu’elle avait eue le jour il était venu pour la voir pendant que Forcheville était . 🔊

Ces charmes d’une tristesse intime, c’était eux qu’elle essayait d’imiter, de recréer, et jusqu’à leur essence qui est pourtant d’être incommunicables et de sembler frivoles à tout autre qu’à celui qui les éprouve, la petite phrase l’avait captée, rendue visible. 🔊

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