Pourtant les fidèles s’étant dispersés, le docteur sentit qu’il y avait là une occasion propice et pendant que Mme Verdurin disait un dernier mot sur la sonate de Vinteuil, comme un nageur débutant qui se jette à l’eau pour apprendre, mais choisit un moment où il n’y a pas trop de monde pour le voir:
—Alors, c’est ce qu’on appelle un musicien di primo cartello! s’écria-t-il avec une brusque résolution. 🔊✎
Swann apprit seulement que l’apparition récente de la sonate de Vinteuil avait produit une grande impression dans une école de tendances très avancées mais était entièrement inconnue du grand public. 🔊✎
—Je connais bien quelqu’un qui s’appelle Vinteuil, dit Swann, en pensant au professeur de piano des sœurs de ma grand’mère. 🔊✎
—C’est peut-être lui, s’écria Mme Verdurin.
—Oh! non, répondit Swann en riant. Si vous l’aviez vu deux minutes, vous ne vous poseriez pas la question. 🔊✎
—Alors poser la question c’est la résoudre? dit le docteur. 🔊✎
—Mais ce pourrait être un parent, reprit Swann, cela serait assez triste, mais enfin un homme de génie peut être le cousin d’une vieille bête. 🔊✎ Si cela était, j’avoue qu’il n’y a pas de supplice que je ne m’imposerais pour que la vieille bête me présentât à l’auteur de la sonate: d’abord le supplice de fréquenter la vieille bête, et qui doit être affreux. 🔊✎
Le peintre savait que Vinteuil était à ce moment très malade et que le docteur Potain craignait de ne pouvoir le sauver.
—Comment, s’écria Mme Verdurin, il y a encore des gens qui se font soigner par Potain! 🔊✎
—Ah! madame Verdurin, dit Cottard, sur un ton de marivaudage, vous oubliez que vous parlez d’un de mes confères, je devrais dire un de mes maîtres. 🔊✎
Le peintre avait entendu dire que Vinteuil était menacé d’aliénation mentale. 🔊✎ Et il assurait qu’on pouvait s’en apercevoir à certains passages de sa sonate. 🔊✎ Swann ne trouva pas cette remarque absurde, mais elle le troubla; car une œuvre de musique pure ne contenant aucun des rapports logiques dont l’altération dans le langage dénonce la folie, la folie reconnue dans une sonate lui paraissait quelque chose d’aussi mystérieux que la folie d’une chienne, la folie d’un cheval, qui pourtant s’observent en effet. 🔊✎
—Laissez-moi donc tranquille avec vos maîtres, vous en savez dix fois autant que lui, répondit Mme Verdurin au docteur Cottard, du ton d’une personne qui a le courage de ses opinions et tient bravement tête à ceux qui ne sont pas du même avis qu’elle. Vous ne tuez pas vos malades, vous, au moins! 🔊✎
—Mais, Madame, il est de l’Académie, répliqua le docteur d’un ton air ironique. Si un malade préfère mourir de la main d’un des princes de la science... 🔊✎ C’est beaucoup plus chic de pouvoir dire: «C’est Potain qui me soigne.»
—Ah! c’est plus chic? dit Mme Verdurin. 🔊✎ Alors il y a du chic dans les maladies, maintenant? je ne savais pas ça... Ce que vous m’amusez, s’écria-t-elle tout à coup en plongeant sa figure dans ses mains. Et moi, bonne bête qui discutais sérieusement sans m’apercevoir que vous me faisiez monter à l’arbre. 🔊✎
Quant à M. Verdurin, trouvant que c’était un peu fatigant de se mettre à rire pour si peu, il se contenta de tirer une bouffée de sa pipe en songeant avec tristesse qu’il ne pouvait plus rattraper sa femme sur le terrain de l’amabilité. 🔊✎
—Vous savez que votre ami nous plaît beaucoup, dit Mme Verdurin à Odette au moment où celle-ci lui souhaitait le bonsoir. Il est simple, charmant; si vous n’avez jamais à nous présenter que des amis comme cela, vous pouvez les amener. 🔊✎