← Mais maintenant il pouvait demander le nom de son inconnue (on lui dit que c’était l’andante de la sonate pour piano et violon de Vinteuil), il la tenait, il pourrait l’avoir chez lui aussi souvent qu’il voudrait, essayer d’apprendre son langage et son secret. 🔊✎
← Cependant il demandait des renseignements sur Vinteuil, sur son œuvre, sur l’époque de sa vie où il avait composé cette sonate, sur ce qu’avait pu signifier pour lui la petite phrase, c’est cela surtout qu’il aurait voulu savoir. 🔊✎
← Mais tous ces gens qui faisaient profession d’admirer ce musicien (quand Swann avait dit que sa sonate était vraiment belle, Mme Verdurin s’était écriée: «Je vous crois un peu qu’elle est belle! Mais on n’avoue pas qu’on ne connaît pas la sonate de Vinteuil, on n’a pas le droit de ne pas la connaître», et le peintre avait ajouté: «Ah! c’est tout à fait une très grande machine, n’est-ce pas. Ce n’est pas si vous voulez la chose «cher» et «public», n’est-ce pas, mais c’est la très grosse impression pour les artistes»), ces gens semblaient ne s’être jamais posé ces questions car ils furent incapables d’y répondre. 🔊✎
← Comme le public ne connaît du charme, de la grâce, des formes de la nature que ce qu’il en a puisé dans les poncifs d’un art lentement assimilé, et qu’un artiste original commence par rejeter ces poncifs, M. et Mme Cottard, image en cela du public, ne trouvaient ni dans la sonate de Vinteuil, ni dans les portraits du peintre, ce qui faisait pour eux l’harmonie de la musique et la beauté de la peinture. 🔊✎
← A son entrée, tandis que Mme Verdurin montrant des roses qu’il avait envoyées le matin lui disait: «Je vous gronde» et lui indiquait une place à côté d’Odette, le pianiste jouait pour eux deux, la petite phrase de Vinteuil qui était comme l’air national de leur amour. 🔊✎
← Je ne sais si tu as entendu ce qu’il lui débitait l’autre soir sur la sonate de Vinteuil; j’aime Odette de tout mon cœur, mais pour lui faire des théories d’esthétique, il faut tout de même être un fameux jobard!» 🔊✎
← Sauf en lui demandant la petite phrase de Vinteuil au lieu de la Valse des Roses, Swann ne cherchait pas à lui faire jouer plutôt des choses qu’il aimât, et pas plus en musique qu’en littérature, à corriger son mauvais goût. 🔊✎
← De ces chagrins dont elle lui parlait autrefois et qu’il la voyait, sans qu’il fût atteint par eux, entraîner en souriant dans son cours sinueux et rapide, de ces chagrins qui maintenant étaient devenus les siens sans qu’il eût l’espérance d’en être jamais délivré, elle semblait lui dire comme jadis de son bonheur: «Qu’est-ce, cela? tout cela n’est rien.» Et la pensée de Swann se porta pour la première fois dans un élan de pitié et de tendresse vers ce Vinteuil, vers ce frère inconnu et sublime qui lui aussi avait dû tant souffrir; qu’avait pu être sa vie? au fond de quelles douleurs avait-il puisé cette force de dieu, cette puissance illimitée de créer? Quand c’était la petite phrase qui lui parlait de la vanité de ses souffrances, Swann trouvait de la douceur à cette même sagesse qui tout à l’heure pourtant lui avait paru intolérable, quand il croyait la lire dans les visages des indifférents qui considéraient son amour comme une divagation sans importance. 🔊✎
← C’est ce que Vinteuil avait fait pour la petite phrase. 🔊✎
← Et une preuve que Swann ne se trompait pas quand il croyait à l’existence réelle de cette phrase, c’est que tout amateur un peu fin se fût tout de suite aperçu de l’imposture, si Vinteuil ayant eu moins de puissance pour en voir et en rendre les formes, avait cherché à dissimuler, en ajoutant çà et là des traits de son cru, les lacunes de sa vision ou les défaillances de sa main. 🔊✎