← Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie—il ne savait lui-même—qui passait et qui lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. 🔊✎
← Et, d’autre part, préférant infiniment à celle d’Odette, la beauté d’une petite ouvrière fraîche et bouffie comme une rose et dont il était épris, il aimait mieux passer le commencement de la soirée avec elle, étant sûr de voir Odette ensuite. 🔊✎
← A son entrée, tandis que Mme Verdurin montrant des roses qu’il avait envoyées le matin lui disait: «Je vous gronde» et lui indiquait une place à côté d’Odette, le pianiste jouait pour eux deux, la petite phrase de Vinteuil qui était comme l’air national de leur amour. 🔊✎
← Swann était agacé par la mode qui depuis l’année dernière se portait sur eux, mais il avait eu plaisir, cette fois, à voir la pénombre de la pièce zébrée de rose, d’oranger et de blanc par les rayons odorants de ces astres éphémères qui s’allument dans les jours gris. 🔊✎
← Odette l’avait reçu en robe de chambre de soie rose, le cou et les bras nus. 🔊✎
← Mais quand le valet de chambre était venu apporter successivement les nombreuses lampes qui, presque toutes enfermées dans des potiches chinoises, brûlaient isolées ou par couples, toutes sur des meubles différents comme sur des autels et qui dans le crépuscule déjà presque nocturne de cette fin d’après-midi d’hiver avaient fait reparaître un coucher de soleil plus durable, plus rose et plus humain,—faisant peut-être rêver dans la rue quelque amoureux arrêté devant le mystère de la présence que décelaient et cachaient à la fois les vitres rallumées—, elle avait surveillé sévèrement du coin de l’œil le domestique pour voir s’il les posait bien à leur place consacrée. 🔊✎
← En se rendant chez elle ce jour-là comme chaque fois qu’il devait la voir d’avance, il se la représentait; et la nécessité où il était pour trouver jolie sa figure de limiter aux seules pommettes roses et fraîches, les joues qu’elle avait si souvent jaunes, languissantes, parfois piquées de petits points rouges, l’affligeait comme une preuve que l’idéal est inaccessible et le bonheur médiocre. 🔊✎
← Il trouvait ouverts sur son piano quelques-uns des morceaux qu’elle préférait: la Valse des Roses ou Pauvre fou de Tagliafico (qu’on devait, selon sa volonté écrite, faire exécuter à son enterrement), il lui demandait de jouer à la place la petite phrase de la sonate de Vinteuil, bien qu’Odette jouât fort mal, mais la vision la plus belle qui nous reste d’une œuvre est souvent celle qui s’éleva au-dessus des sons faux tirés par des doigts malhabiles, d’un piano désaccordé. 🔊✎
← Sauf en lui demandant la petite phrase de Vinteuil au lieu de la Valse des Roses, Swann ne cherchait pas à lui faire jouer plutôt des choses qu’il aimât, et pas plus en musique qu’en littérature, à corriger son mauvais goût. 🔊✎
← Elle commençait à se demander si cette gesticulation n’était pas rendue nécessaire par le morceau qu’on jouait et qui ne rentrait peut-être pas dans le cadre de la musique qu’elle avait entendue jusqu’à ce jour, si s’abstenir n’était pas faire preuve d’incompréhension à l’égard de l’œuvre et d’inconvenance vis-à-vis de la maîtresse de la maison: de sorte que pour exprimer par une «cote mal taillée» ses sentiments contradictoires, tantôt elle se contentait de remonter la bride de ses épaulettes ou d’assurer dans ses cheveux blonds les petites boules de corail ou d’émail rose, givrées de diamant, qui lui faisaient une coiffure simple et charmante, en examinant avec une froide curiosité sa fougueuse voisine, tantôt de son éventail elle battait pendant un instant la mesure, mais, pour ne pas abdiquer son indépendance, à contretemps. 🔊✎