différent

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Si en voyage il rencontrait une famille qu’il eût été plus élégant de ne pas chercher à connaître, mais dans laquelle une femme se présentait à ses yeux parée d’un charme qu’il n’avait pas encore connu, rester dans son «quant à soi» et tromper le désir qu’elle avait fait naître, substituer un plaisir différent au plaisir qu’il eût pu connaître avec elle, en écrivant à une ancienne maîtresse de venir le rejoindre, lui eût semblé une aussi lâche abdication devant la vie, un aussi stupide renoncement à un bonheur nouveau, que si au lieu de visiter le pays, il s’était confiné dans sa chambre en regardant des vues de Paris. 🔊

Mais tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve de la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants, en revanche quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d’autrefois, qui lui avait parlé d’elle comme d’une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu’elle n’était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l’opposé du type que nos sens réclament. 🔊

Or, comme certains valétudinaires chez qui tout d’un coup, un pays ils sont arrivés, un régime différent, quelquefois une évolution organique, spontanée et mystérieuse, semblent amener une telle régression de leur mal qu’ils commencent à envisager la possibilité inespérée de commencer sur le tard une vie toute différente, Swann trouvait en lui, dans le souvenir de la phrase qu’il avait entendue, dans certaines sonates qu’il s’était fait jouer, pour voir s’il ne l’y découvrirait pas, la présence d’une de ces réalités invisibles auxquelles il avait cessé de croire et auxquelles, comme si la musique avait eu sur la sécheresse morale dont il souffrait une sorte d’influence élective, il se sentait de nouveau le désir et presque la force de consacrer sa vie. 🔊

Dis-le alors», mais il ne le disait pas, sachant combien cela lui paraîtrait mince et différent de ce qu’elle espérait, moins sensationnel et moins touchant, et craignant que, désillusionnée de l’art, elle ne le fût en même temps de l’amour. 🔊

Celle-ci, en effet, pendant qu’il se livrait à ces invectives, était probablement, sans qu’il s’en aperçût, occupée d’un objet tout à fait différent, car une fois arrivé chez lui, à peine eut-il refermé la porte cochère, que brusquement il se frappa le front, et, la faisant rouvrir, ressortit en s’écriant d’une voix naturelle cette fois: «Je crois que j’ai trouvé le moyen de me faire inviter demain au dîner de ChatouMais le moyen devait être mauvais, car Swann ne fut pas invité: le docteur Cottard qui, appelé en province pour un cas grave, n’avait pas vu les Verdurin depuis plusieurs jours et n’avait pu aller à Chatou, dit, le lendemain de ce dîner, en se mettant à table chez eux: 🔊

Et quand M. de Forestelle venait le chercher pour partir, il lui disait: «Hélas! non, je ne peux pas aller aujourd’hui à Pierrefonds, Odette y est justementEt Swann était heureux malgré tout de sentir que, si seul de tous les mortels il n’avait pas le droit en ce jour d’aller à Pierrefonds, c’était parce qu’il était en effet pour Odette quelqu’un de différent des autres, son amant, et que cette restriction apportée pour lui au droit universel de libre circulation, n’était qu’une des formes de cet esclavage, de cet amour qui lui était si cher. 🔊

Ces paroles étaient mensongères; du moins pour Odette elles étaient mensongères, inconsistantes, n’ayant pas, comme si elles avaient été vraies, un point d’appui dans le souvenir de son arrivée à la gare; même elle était empêchée de se les représenter au moment elle les prononçait, par l’image contradictoire de ce qu’elle avait fait de tout différent au moment elle prétendait être descendue du train. 🔊

Il revenait à ce point de vueopposé à celui de son amour et de sa jalousie et auquel il se plaçait quelquefois par une sorte d’équité intellectuelle et pour faire la part des diverses probabilitésd’ il essayait de juger Odette comme s’il ne l’avait pas aimée, comme si elle était pour lui une femme comme les autres, comme si la vie d’Odette n’avait pas été, dès qu’il n’était plus , différente, tramée en cachette de lui, ourdie contre lui. 🔊

Même quand il ne pouvait savoir elle était allée, il lui aurait suffi pour calmer l’angoisse qu’il éprouvait alors, et contre laquelle la présence d’Odette, la douceur d’être auprès d’elle était le seul spécifique (un spécifique qui à la longue aggravait le mal avec bien des remèdes, mais du moins calmait momentanément la souffrance), il lui aurait suffi, si Odette l’avait seulement permis, de rester chez elle tant qu’elle ne serait pas , de l’attendre jusqu’à cette heure du retour dans l’apaisement de laquelle seraient venues se confondre les heures qu’un prestige, un maléfice lui avaient fait croire différentes des autres. 🔊

Comme les différents hasards qui nous mettent en présence de certaines personnes ne coïncident pas avec le temps nous les aimons, mais, le dépassant, peuvent se produire avant qu’il commence et se répéter après qu’il a fini, les premières apparitions que fait dans notre vie un être destiné plus tard à nous plaire, prennent rétrospectivement à nos yeux une valeur d’avertissement, de présage. C’est de cette façon que Swann s’était souvent reporté à l’image d’Odette rencontrée au théâtre, ce premier soir il ne songeait pas à la revoir jamais,—et qu’il se rappelait maintenant la soirée de Mme de Saint-Euverte il avait présenté le général de Froberville à Mme de Cambremer. 🔊

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