← —Voici Mme de Crécy qui a quelque chose à te demander. Elle désirerait te présenter un de ses amis, M. Swann. Qu’en dis-tu? 🔊✎
← Mais tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né de la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants, en revanche quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d’autrefois, qui lui avait parlé d’elle comme d’une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu’elle n’était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l’opposé du type que nos sens réclament. 🔊✎
← Odette de Crécy retourna voir Swann, puis rapprocha ses visites; et sans doute chacune d’elles renouvelait pour lui la déception qu’il éprouvait à se retrouver devant ce visage dont il avait un peu oublié les particularités dans l’intervalle, et qu’il ne s’était rappelé ni si expressif ni, malgré sa jeunesse, si fané; il regrettait, pendant qu’elle causait avec lui, que la grande beauté qu’elle avait ne fût pas du genre de celles qu’il aurait spontanément préférées. 🔊✎
← Et sans doute, en se rappelant ainsi leurs entretiens, en pensant ainsi à elle quand il était seul, il faisait seulement jouer son image entre beaucoup d’autres images de femmes dans des rêveries romanesques; mais si, grâce à une circonstance quelconque (ou même peut-être sans que ce fût grâce à elle, la circonstance qui se présente au moment où un état, latent jusque-là, se déclare, pouvant n’avoir influé en rien sur lui) l’image d’Odette de Crécy venait à absorber toutes ces rêveries, si celles-ci n’étaient plus séparables de son souvenir, alors l’imperfection de son corps ne garderait plus aucune importance, ni qu’il eût été, plus ou moins qu’un autre corps, selon le goût de Swann, puisque devenu le corps de celle qu’il aimait, il serait désormais le seul qui fût capable de lui causer des joies et des tourments. 🔊✎
← On venait lui dire que Mme de Crécy était dans son petit salon. 🔊✎
← Nous parlons de Mme de Crécy, dit-il à M. Verdurin qui s’approchait, la pipe à la bouche. 🔊✎
← Souvent sans lui rien dire il la regardait, il songeait; elle lui disait: «Comme tu as l’air triste!» Il n’y avait pas bien longtemps encore, de l’idée qu’elle était une créature bonne, analogue aux meilleures qu’il eût connues, il avait passé à l’idée qu’elle était une femme entretenue; inversement il lui était arrivé depuis de revenir de l’Odette de Crécy, peut-être trop connue des fêtards, des hommes à femmes, à ce visage d’une expression parfois si douce, à cette nature si humaine. 🔊✎
← Il se disait: «Qu’est-ce que cela veut dire qu’à Nice tout le monde sache qui est Odette de Crécy? 🔊✎
← Vous êtes gentil, mon petit Mémé, je vous aime bien.» Swann se sentait soulagé. Pour lui, à qui il était arrivé en causant avec des indifférents qu’il écoutait à peine, d’entendre quelquefois certaines phrases (celle-ci par exemple: «J’ai vu hier Mme de Crécy, elle était avec un monsieur que je ne connais pas»), phrases qui aussitôt dans le cœur de Swann passaient à l’état solide, s’y durcissaient comme une incrustation, le déchiraient, n’en bougeaient plus, qu’ils étaient doux au contraire ces mots: «Elle ne connaissait personne, elle n’a parlé à personne», comme ils circulaient aisément en lui, qu’ils étaient fluides, faciles, respirables! 🔊✎
← —D’ailleurs, ajouta Mme Cottard, Mme de Crécy était là et c’est tout dire. 🔊✎