Mais Brichot attendait que Swann eût donné la sienne. 🔊✎ Celui-ci ne répondit pas et en se dérobant fit manquer la brillante joute que Mme Verdurin se réjouissait d’offrir à Forcheville. 🔊✎
—Naturellement, c’est comme avec moi, dit Odette d’un ton boudeur, je ne suis pas fâchée de voir que je ne suis pas la seule qu’il ne trouve pas à la hauteur. 🔊✎
—Ces de La Trémouaille que Mme Verdurin nous a montrés comme si peu recommandables, demanda Brichot, en articulant avec force, descendent-ils de ceux que cette bonne snob de Mme de Sévigné avouait être heureuse de connaître parce que cela faisait bien pour ses paysans? 🔊✎ Il est vrai que la marquise avait une autre raison, et qui pour elle devait primer celle-là, car gendelettre dans l’âme, elle faisait passer la copie avant tout. Or dans le journal qu’elle envoyait régulièrement à sa fille, c’est Mme de la Trémouaille, bien documentée par ses grandes alliances, qui faisait la politique étrangère.
—Mais non, je ne crois pas que ce soit la même famille, dit à tout hasard Mme Verdurin.
🔊✎
Après le dîner Forcheville alla de lui-même vers le docteur. 🔊✎
—«Elle n’a pas dû être mal, Mme Verdurin, et puis c’est une femme avec qui on peut causer, pour moi tout est là. 🔊✎ Évidemment elle commence à avoir un peu de bouteille. Mais Mme de Crécy voilà une petite femme qui a l’air intelligente, ah! saperlipopette, on voit tout de suite qu’elle a l’œil américain, celle-là! 🔊✎ Nous parlons de Mme de Crécy, dit-il à M. Verdurin qui s’approchait, la pipe à la bouche. 🔊✎ Je me figure que comme corps de femme...»
—«J’aimerais mieux l’avoir dans mon lit que le tonnerre», dit précipitamment Cottard qui depuis quelques instants attendait en vain que Forcheville reprît haleine pour placer cette vieille plaisanterie dont il craignait que ne revînt pas l’à-propos si la conversation changeait de cours, et qu’il débita avec cet excès de spontanéité et d’assurance qui cherche à masquer la froideur et l’émoi inséparables d’une récitation. 🔊✎ Forcheville la connaissait, il la comprit et s’en amusa. 🔊✎ Quant à M. Verdurin, il ne marchanda pas sa gaieté, car il avait trouvé depuis peu pour la signifier un symbole autre que celui dont usait sa femme, mais aussi simple et aussi clair. 🔊✎ A peine avait-il commencé à faire le mouvement de tête et d’épaules de quelqu’un qui s’esclaffe qu’aussitôt il se mettait à tousser comme si, en riant trop fort, il avait avalé la fumée de sa pipe. 🔊✎ Et la gardant toujours au coin de sa bouche, il prolongeait indéfiniment le simulacre de suffocation et d’hilarité. 🔊✎ Ainsi lui et Mme Verdurin, qui en face, écoutant le peintre qui lui racontait une histoire, fermait les yeux avant de précipiter son visage dans ses mains, avaient l’air de deux masques de théâtre qui figuraient différemment la gaieté. 🔊✎
M. Verdurin avait d’ailleurs fait sagement en ne retirant pas sa pipe de sa bouche, car Cottard qui avait besoin de s’éloigner un instant fit à mi-voix une plaisanterie qu’il avait apprise depuis peu et qu’il renouvelait chaque fois qu’il avait à aller au même endroit: «Il faut que j’aille entretenir un instant le duc d’Aumale», de sorte que la quinte de M. Verdurin recommença. 🔊✎
—Voyons, enlève donc ta pipe de ta bouche, tu vois bien que tu vas t’étouffer à te retenir de rire comme ça, lui dit Mme Verdurin qui venait offrir des liqueurs. 🔊✎
—«Quel homme charmant que votre mari, il a de l’esprit comme quatre, déclara Forcheville à Mme Cottard. 🔊✎ Merci madame. Un vieux troupier comme moi, ça ne refuse jamais la goutte.» 🔊✎
—«M. de Forcheville trouve Odette charmante», dit M. Verdurin à sa femme. 🔊✎
—Mais justement elle voudrait déjeuner une fois avec vous. Nous allons combiner ça, mais il ne faut pas que Swann le sache. Vous savez, il met un peu de froid. 🔊✎ Ça ne vous empêchera pas de venir dîner, naturellement, nous espérons vous avoir très souvent. 🔊✎ Avec la belle saison qui vient, nous allons souvent dîner en plein air. 🔊✎ Cela ne vous ennuie pas les petits dîners au Bois? bien, bien, ce sera très gentil. 🔊✎ Est-ce que vous n’allez pas travailler de votre métier, vous! cria-t-elle au petit pianiste, afin de faire montre, devant un nouveau de l’importance de Forcheville, à la fois de son esprit et de son pouvoir tyrannique sur les fidèles. 🔊✎
—M. de Forcheville était en train de me dire du mal de toi, dit Mme Cottard à son mari quand il rentra au salon. 🔊✎
Et lui, poursuivant l’idée de la noblesse de Forcheville qui l’occupait depuis le commencement du dîner, lui dit:
—«Je soigne en ce moment une baronne, la baronne Putbus, les Putbus étaient aux Croisades, n’est-ce pas? 🔊✎ Ils ont, en Poméranie, un lac qui est grand comme dix fois la place de la Concorde. 🔊✎ Je la soigne pour de l’arthrite sèche, c’est une femme charmante. Elle connaît du reste Mme Verdurin, je crois. 🔊✎
Ce qui permit à Forcheville, quand il se retrouva, un moment après, seul avec Mme Cottard, de compléter le jugement favorable qu’il avait porté sur son mari:
—Et puis il est intéressant, on voit qu’il connaît du monde. Dame, ça sait tant de choses, les médecins. 🔊✎
—Je vais jouer la phrase de la Sonate pour M. Swann? dit le pianiste. 🔊✎
—Ah! bigre! ce n’est pas au moins le «Serpent à Sonates»? demanda M. de Forcheville pour faire de l’effet. 🔊✎