De même si un «fidèle» avait un ami, ou une «habituée» un flirt qui serait capable de faire «lâcher» quelquefois, les Verdurin qui ne s’effrayaient pas qu’une femme eût un amant pourvu qu’elle l’eût chez eux, l’aimât en eux, et ne le leur préférât pas, disaient: «Eh bien! amenez-le votre ami.» Et on l’engageait à l’essai, pour voir s’il était capable de ne pas avoir de secrets pour Mme Verdurin, s’il était susceptible d’être agrégé au «petit clan». S’il ne l’était pas on prenait à part le fidèle qui l’avait présenté et on lui rendait le service de le brouiller avec son ami ou avec sa maîtresse. Dans le cas contraire, le «nouveau» devenait à son tour un fidèle. 🔊✎ Aussi quand cette année-là, la demi-mondaine raconta à M. Verdurin qu’elle avait fait la connaissance d’un homme charmant, M. Swann, et insinua qu’il serait très heureux d’être reçu chez eux, M. Verdurin transmit-il séance tenante la requête à sa femme. ( 🔊✎Il n’avait jamais d’avis qu’après sa femme, dont son rôle particulier était de mettre à exécution les désirs, ainsi que les désirs des fidèles, avec de grandes ressources d’ingéniosité.) 🔊✎
—Voici Mme de Crécy qui a quelque chose à te demander. Elle désirerait te présenter un de ses amis, M. Swann. Qu’en dis-tu? 🔊✎
—«Mais voyons, est-ce qu’on peut refuser quelque chose à une petite perfection comme ça. 🔊✎ Taisez-vous, on ne vous demande pas votre avis, je vous dis que vous êtes une perfection.» 🔊✎
—«Puisque vous le voulez, répondit Odette sur un ton de marivaudage, et elle ajouta: vous savez que je ne suis pas «fishing for compliments». 🔊✎
—«Eh bien! amenez-le votre ami, s’il est agréable.» 🔊✎
Certes le «petit noyau» n’avait aucun rapport avec la société où fréquentait Swann, et de purs mondains auraient trouvé que ce n’était pas la peine d’y occuper comme lui une situation exceptionnelle pour se faire présenter chez les Verdurin. 🔊✎ Mais Swann aimait tellement les femmes, qu’à partir du jour où il avait connu à peu près toutes celles de l’aristocratie et où elles n’avaient plus rien eu à lui apprendre, il n’avait plus tenu à ces lettres de naturalisation, presque des titres de noblesse, que lui avait octroyées le faubourg Saint-Germain, que comme à une sorte de valeur d’échange, de lettre de crédit dénuée de prix en elle-même, mais lui permettant de s’improviser une situation dans tel petit trou de province ou tel milieu obscur de Paris, où la fille du hobereau ou du greffier lui avait semblé jolie. 🔊✎ Car le désir ou l’amour lui rendait alors un sentiment de vanité dont il était maintenant exempt dans l’habitude de la vie (bien que ce fût lui sans doute qui autrefois l’avait dirigé vers cette carrière mondaine où il avait gaspillé dans les plaisirs frivoles les dons de son esprit et fait servir son érudition en matière d’art à conseiller les dames de la société dans leurs achats de tableaux et pour l’ameublement de leurs hôtels), et qui lui faisait désirer de briller, aux yeux d’une inconnue dont il s’était épris, d’une élégance que le nom de Swann à lui tout seul n’impliquait pas. 🔊✎ Il le désirait surtout si l’inconnue était d’humble condition. 🔊✎ De même que ce n’est pas à un autre homme intelligent qu’un homme intelligent aura peur de paraître bête, ce n’est pas par un grand seigneur, c’est par un rustre qu’un homme élégant craindra de voir son élégance méconnue. 🔊✎ Les trois quarts des frais d’esprit et des mensonges de vanité qui ont été prodigués depuis que le monde existe par des gens qu’ils ne faisaient que diminuer, l’ont été pour des inférieurs. 🔊✎ Et Swann qui était simple et négligent avec une duchesse, tremblait d’être méprisé, posait, quand il était devant une femme de chambre. 🔊✎