← Mais tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né de la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants, en revanche quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d’autrefois, qui lui avait parlé d’elle comme d’une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu’elle n’était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l’opposé du type que nos sens réclament. 🔊✎
← Les êtres nous sont d’habitude si indifférents, que quand nous avons mis dans l’un d’eux de telles possibilités de souffrance et de joie, pour nous il nous semble appartenir à un autre univers, il s’entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous. 🔊✎
← Mais, alors que, si elle eût retrouvé à Pierrefonds quelque indifférent, elle lui eût dit joyeusement: «Tiens, vous ici!», et lui aurait demandé d’aller la voir à l’hôtel où elle était descendue avec les Verdurin, au contraire si elle l’y rencontrait, lui, Swann, elle serait froissée, elle se dirait qu’elle était suivie, elle l’aimerait moins, peut-être se détournerait-elle avec colère en l’apercevant. « 🔊✎
← Considérant son mal avec autant de sagacité que s’il se l’était inoculé pour en faire l’étude, il se disait que, quand il serait guéri, ce que pourrait faire Odette lui serait indifférent. 🔊✎
← Vous êtes gentil, mon petit Mémé, je vous aime bien.» Swann se sentait soulagé. Pour lui, à qui il était arrivé en causant avec des indifférents qu’il écoutait à peine, d’entendre quelquefois certaines phrases (celle-ci par exemple: «J’ai vu hier Mme de Crécy, elle était avec un monsieur que je ne connais pas»), phrases qui aussitôt dans le cœur de Swann passaient à l’état solide, s’y durcissaient comme une incrustation, le déchiraient, n’en bougeaient plus, qu’ils étaient doux au contraire ces mots: «Elle ne connaissait personne, elle n’a parlé à personne», comme ils circulaient aisément en lui, qu’ils étaient fluides, faciles, respirables! 🔊✎
← —Je crois pourtant qu’elle m’aime; elle est si gentille pour moi, ce que je fais ne lui est certainement pas indifférent. 🔊✎
← Ces nouvelles façons indifférentes, distraites, irritables, qui étaient maintenant celles d’Odette avec lui, certes Swann en souffrait; mais il ne connaissait pas sa souffrance; comme c’était progressivement, jour par jour, qu’Odette s’était refroidie à son égard, ce n’est qu’en mettant en regard de ce qu’elle était aujourd’hui ce qu’elle avait été au début, qu’il aurait pu sonder la profondeur du changement qui s’était accompli. 🔊✎
← De ces chagrins dont elle lui parlait autrefois et qu’il la voyait, sans qu’il fût atteint par eux, entraîner en souriant dans son cours sinueux et rapide, de ces chagrins qui maintenant étaient devenus les siens sans qu’il eût l’espérance d’en être jamais délivré, elle semblait lui dire comme jadis de son bonheur: «Qu’est-ce, cela? tout cela n’est rien.» Et la pensée de Swann se porta pour la première fois dans un élan de pitié et de tendresse vers ce Vinteuil, vers ce frère inconnu et sublime qui lui aussi avait dû tant souffrir; qu’avait pu être sa vie? au fond de quelles douleurs avait-il puisé cette force de dieu, cette puissance illimitée de créer? Quand c’était la petite phrase qui lui parlait de la vanité de ses souffrances, Swann trouvait de la douceur à cette même sagesse qui tout à l’heure pourtant lui avait paru intolérable, quand il croyait la lire dans les visages des indifférents qui considéraient son amour comme une divagation sans importance. 🔊✎
← Sans doute Swann était certain que s’il avait vécu maintenant loin d’Odette, elle aurait fini par lui devenir indifférente, de sorte qu’il aurait été content qu’elle quittât Paris pour toujours; il aurait eu le courage de rester; mais il n’avait pas celui de partir. 🔊✎
← Mais bientôt il se leva et lui dit adieu, elle lui était indifférente, elle ne connaissait pas Odette. 🔊✎