← Souvent il se trouvait qu’il s’était tant attardé avec la jeune ouvrière avant d’aller chez les Verdurin, qu’une fois la petite phrase jouée par le pianiste, Swann s’apercevait qu’il était bientôt l’heure qu’Odette rentrât. 🔊✎
← Et le plaisir que lui donnait la musique et qui allait bientôt créer chez lui un véritable besoin, ressemblait en effet, à ces moments-là, au plaisir qu’il aurait eu à expérimenter des parfums, à entrer en contact avec un monde pour lequel nous ne sommes pas faits, qui nous semble sans forme parce que nos yeux ne le perçoivent pas, sans signification parce qu’il échappe à notre intelligence, que nous n’atteignons que par un seul sens. 🔊✎
← Puis, une fois qu’il l’avait quittée, non sans être rentré pour l’embrasser encore parce qu’il avait oublié d’emporter dans son souvenir quelque particularité de son odeur ou de ses traits, tandis qu’il revenait dans sa victoria, bénissant Odette de lui permettre ces visites quotidiennes, dont il sentait qu’elles ne devaient pas lui causer à elle une bien grande joie, mais qui en le préservant de devenir jaloux,—en lui ôtant l’occasion de souffrir de nouveau du mal qui s’était déclaré en lui le soir où il ne l’avait pas trouvée chez les Verdurin—l’aideraient à arriver, sans avoir plus d’autres de ces crises dont la première avait été si douloureuse et resterait la seule, au bout de ces heures singulières de sa vie, heures presque enchantées, à la façon de celles où il traversait Paris au clair de lune. Et, remarquant, pendant ce retour, que l’astre était maintenant déplacé par rapport à lui, et presque au bout de l’horizon, sentant que son amour obéissait, lui aussi, à des lois immuables et naturelles, il se demandait si cette période où il était entré durerait encore longtemps, si bientôt sa pensée ne verrait plus le cher visage qu’occupant une position lointaine et diminuée, et près de cesser de répandre du charme. 🔊✎
← —Alors, adieu, à bientôt, n’est-ce pas? tâchant par l’amabilité du regard et la contrainte du sourire de l’empêcher de penser qu’elle ne lui disait pas, comme elle eût toujours fait jusqu’ici: «A demain à Chatou, à après-demain chez moi.» 🔊✎
← Swann savait qu’Odette ne se parjurerait pas sur cette médaille-là. —«Oh! que tu me rends malheureuse, s’écria-t-elle en se dérobant par un sursaut à l’étreinte de sa question. Mais as-tu bientôt fini? Qu’est-ce que tu as aujourd’hui? Tu as donc décidé qu’il fallait que je te déteste, que je t’exècre? Voilà, je voulais reprendre avec toi le bon temps comme autrefois et voilà ton remerciement!» 🔊✎
← Mais bientôt il se leva et lui dit adieu, elle lui était indifférente, elle ne connaissait pas Odette. 🔊✎
← Mais le plus souvent le temps si particulier de sa vie d’où il sortait, quand il faisait effort sinon pour y rester, du moins pour en avoir une vision claire pendant qu’il le pouvait encore, il s’apercevait qu’il ne le pouvait déjà plus; il aurait voulu apercevoir comme un paysage qui allait disparaître cet amour qu’il venait de quitter; mais il est si difficile d’être double et de se donner le spectacle véridique d’un sentiment qu’on a cessé de posséder, que bientôt l’obscurité se faisant dans son cerveau, il ne voyait plus rien, renonçait à regarder, retirait son lorgnon, en essuyait les verres; et il se disait qu’il valait mieux se reposer un peu, qu’il serait encore temps tout à l’heure, et se rencognait, avec l’incuriosité, dans l’engourdissement, du voyageur ensommeillé qui rabat son chapeau sur ses yeux pour dormir dans le wagon qu’il sent l’entraîner de plus en plus vite, loin du pays, où il a si longtemps vécu et qu’il s’était promis de ne pas laisser fuir sans lui donner un dernier adieu. 🔊✎