← Swann avait toujours eu ce goût particulier d’aimer à retrouver dans la peinture des maîtres non pas seulement les caractères généraux de la réalité qui nous entoure, mais ce qui semble au contraire le moins susceptible de généralité, les traits individuels des visages que nous connaissons: ainsi, dans la matière d’un buste du doge Lorédan par Antoine Rizzo, la saillie des pommettes, l’obliquité des sourcils, enfin la ressemblance criante de son cocher Rémi; sous les couleurs d’un Ghirlandajo, le nez de M. de Palancy; dans un portrait de Tintoret, l’envahissement du gras de la joue par l’implantation des premiers poils des favoris, la cassure du nez, la pénétration du regard, la congestion des paupières du docteur du Boulbon. 🔊✎
← Les êtres nous sont d’habitude si indifférents, que quand nous avons mis dans l’un d’eux de telles possibilités de souffrance et de joie, pour nous il nous semble appartenir à un autre univers, il s’entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous. 🔊✎
← Et il arrive en effet souvent pour de plus grands que n’était Swann, pour un savant, pour un artiste, quand il n’est pas méconnu par ceux qui l’entourent, que celui de leurs sentiments qui prouve que la supériorité de son intelligence s’est imposée à eux, ce n’est pas leur admiration pour ses idées, car elles leur échappent, mais leur respect pour sa bonté. 🔊✎
← On commence même à en être un peu fatigué, ajouta-t-elle en voyant que Swann n’avait pas l’air aussi intéressé qu’elle aurait cru par une si brûlante actualité. Il faut avouer pourtant que cela donne quelquefois prétexte à des idées assez amusantes. Ainsi j’ai une de mes amies qui est très originale, quoique très jolie femme, très entourée, très lancée, et qui prétend qu’elle a fait faire chez elle cette salade japonaise, mais en faisant mettre tout ce qu’Alexandre Dumas fils dit dans la pièce. 🔊✎
← Il passait ses journées penché sur une carte de la forêt de Compiègne comme si ç’avait été la carte du Tendre, s’entourait de photographies du château de Pierrefonds. 🔊✎
← Mais celui de M. de Saint-Candé, entouré d’un gigantesque anneau, comme Saturne, était le centre de gravité d’une figure qui s’ordonnait à tout moment par rapport à lui, dont le nez frémissant et rouge et la bouche lippue et sarcastique tâchaient par leurs grimaces d’être à la hauteur des feux roulants d’esprit dont étincelait le disque de verre, et se voyait préférer aux plus beaux regards du monde par des jeunes femmes snobs et dépravées qu’il faisait rêver de charmes artificiels et d’un raffinement de volupté; et cependant, derrière le sien, M. de Palancy qui avec sa grosse tête de carpe aux yeux ronds, se déplaçait lentement au milieu des fêtes, en desserrant d’instant en instant ses mandibules comme pour chercher son orientation, avait l’air de transporter seulement avec lui un fragment accidentel, et peut-être purement symbolique, du vitrage de son aquarium, partie destinée à figurer le tout qui rappela à Swann, grand admirateur des Vices et des Vertus de Giotto à Padoue, cet Injuste à côté duquel un rameau feuillu évoque les forêts où se cache son repaire. 🔊✎
← Mais quelle vérité douloureuse prenait pour lui ces lignes du Journal d’un Poète d’Alfred de Vigny qu’il avait lues avec indifférence autrefois: «Quand on se sent pris d’amour pour une femme, on devrait se dire: Comment est-elle entourée? Quelle a été sa vie? 🔊✎