← Je me suis souvent fait raconter bien des années plus tard, quand je commençai à m’intéresser à son caractère à cause des ressemblances qu’en de tout autres parties il offrait avec le mien, que quand il écrivait à mon grand-père (qui ne l’était pas encore, car c’est vers l’époque de ma naissance que commença la grande liaison de Swann et elle interrompit longtemps ces pratiques) celui-ci, en reconnaissant sur l’enveloppe l’écriture de son ami, s’écriait: «Voilà Swann qui va demander quelque chose: à la garde!» Et soit méfiance, soit par le sentiment inconsciemment diabolique qui nous pousse à n’offrir une chose qu’aux gens qui n’en ont pas envie, mes grands-parents opposaient une fin de non-recevoir absolue aux prières les plus faciles à satisfaire qu’il leur adressait, comme de le présenter à une jeune fille qui dînait tous les dimanches à la maison, et qu’ils étaient obligés, chaque fois que Swann leur en reparlait, de faire semblant de ne plus voir, alors que pendant toute la semaine on se demandait qui on pourrait bien inviter avec elle, finissant souvent par ne trouver personne, faute de faire signe à celui qui en eût été si heureux. 🔊✎
← Odette fit à Swann «son» thé, lui demanda: «Citron ou crème?» et comme il répondit «crème», lui dit en riant: «Un nuage!» Et comme il le trouvait bon: «Vous voyez que je sais ce que vous aimez.» Ce thé en effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même et l’amour a tellement besoin de se trouver une justification, une garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n’en seraient pas et finissent avec lui, que quand il l’avait quittée à sept heures pour rentrer chez lui s’habiller, pendant tout le trajet qu’il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet après-midi lui avait causée, il se répétait: «Ce serait bien agréable d’avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon thé.» Une heure après, il reçut un mot d’Odette, et reconnut tout de suite cette grande écriture dans laquelle une affectation de raideur britannique imposait une apparence de discipline à des caractères informes qui eussent signifié peut-être pour des yeux moins prévenus le désordre de la pensée, l’insuffisance de l’éducation, le manque de franchise et de volonté. 🔊✎
← Il souriait seulement quelquefois en pensant qu’il y a quelques années, quand il ne la connaissait pas, on lui avait parlé d’une femme, qui, s’il se rappelait bien, devait certainement être elle, comme d’une fille, d’une femme entretenue, une de ces femmes auxquelles il attribuait encore, comme il avait peu vécu dans leur société, le caractère entier, foncièrement pervers, dont les dota longtemps l’imagination de certains romanciers. 🔊✎
← Il se disait qu’il n’y a souvent qu’à prendre le contre-pied des réputations que fait le monde pour juger exactement une personne, quand, à un tel caractère, il opposait celui d’Odette, bonne, naïve, éprise d’idéal, presque si incapable de ne pas dire la vérité, que, l’ayant un jour priée, pour pouvoir dîner seul avec elle, d’écrire aux Verdurin qu’elle était souffrante, le lendemain, il l’avait vue, devant Mme Verdurin qui lui demandait si elle allait mieux, rougir, balbutier et refléter malgré elle, sur son visage, le chagrin, le supplice que cela lui était de mentir, et, tandis qu’elle multipliait dans sa réponse les détails inventés sur sa prétendue indisposition de la veille, avoir l’air de faire demander pardon par ses regards suppliants et sa voix désolée de la fausseté de ses paroles. Certains jours pourtant, mais rares, elle venait chez lui dans l’après-midi, interrompre sa rêverie ou cette étude sur Ver Meer à laquelle il s’était remis dernièrement. 🔊✎
← Car la tendresse de Swann continuait à garder le même caractère que lui avait imprimé dès le début à la fois l’ignorance où il était de l’emploi des journées d’Odette et la paresse cérébrale qui l’empêchait de suppléer à l’ignorance par l’imagination. 🔊✎
← Et comment n’aurait-il pas été misanthrope quand dans tout homme il voyait un amant possible pour Odette? Et ainsi sa jalousie plus encore que n’avait fait le goût voluptueux et riant qu’il avait d’abord pour Odette, altérait le caractère de Swann et changeait du tout au tout, aux yeux des autres, l’aspect même des signes extérieurs par lesquels ce caractère se manifestait. 🔊✎
← —«Ah! lui dit-il, il y a eu de bien belles vies qui ont fini de cette façon... Ainsi vous savez... ce navigateur dont Dumont d’Urville ramena les cendres, La Pérouse...(et Swann était déjà heureux comme s’il avait parlé d’Odette.) «C’est un beau caractère et qui m’intéresse beaucoup que celui de La Pérouse, ajouta-t-il d’un air mélancolique.» —Ah! parfaitement, La Pérouse, dit le général. C’est un nom connu. Il a sa rue. 🔊✎
← Et quand il voulut savoir si c’était plutôt sous le caractère apparent de M. de Charlus, de M. des Laumes, de M. d’Orsan, qu’il devait situer la région inconnue où cet acte ignoble avait dû naître, comme aucun de ces hommes n’avait jamais approuvé devant lui les lettres anonymes et que tout ce qu’ils lui avaient dit impliquait qu’ils les réprouvaient, il ne vit pas de raisons pour relier cette infamie plutôt à la nature de l’un que de l’autre. Celle de M. de Charlus était un peu d’un détraqué mais foncièrement bonne et tendre; celle de M. des Laumes un peu sèche mais saine et droite. 🔊✎
← Bref cette lettre anonyme prouvait qu’il connaissait un être capable de scélératesse, mais il ne voyait pas plus de raison pour que cette scélératesse fût cachée dans le tuf—inexploré d’autrui—du caractère de l’homme tendre que de l’homme froid, de l’artiste que du bourgeois, du grand seigneur que du valet. 🔊✎
← Pour sûr! ça dépend des caractères!» Swann ne pouvait s’empêcher de dire à ces filles les mêmes choses qui auraient plu à la princesse des Laumes. 🔊✎