← Je me suis souvent fait raconter bien des années plus tard, quand je commençai à m’intéresser à son caractère à cause des ressemblances qu’en de tout autres parties il offrait avec le mien, que quand il écrivait à mon grand-père (qui ne l’était pas encore, car c’est vers l’époque de ma naissance que commença la grande liaison de Swann et elle interrompit longtemps ces pratiques) celui-ci, en reconnaissant sur l’enveloppe l’écriture de son ami, s’écriait: «Voilà Swann qui va demander quelque chose: à la garde!» Et soit méfiance, soit par le sentiment inconsciemment diabolique qui nous pousse à n’offrir une chose qu’aux gens qui n’en ont pas envie, mes grands-parents opposaient une fin de non-recevoir absolue aux prières les plus faciles à satisfaire qu’il leur adressait, comme de le présenter à une jeune fille qui dînait tous les dimanches à la maison, et qu’ils étaient obligés, chaque fois que Swann leur en reparlait, de faire semblant de ne plus voir, alors que pendant toute la semaine on se demandait qui on pourrait bien inviter avec elle, finissant souvent par ne trouver personne, faute de faire signe à celui qui en eût été si heureux. 🔊✎
← De ce poste élevé elle participait avec entrain à la conversation des fidèles et s’égayait de leurs «fumisteries», mais depuis l’accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait renoncé à prendre la peine de pouffer effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait sans fatigue ni risques pour elle, qu’elle riait aux larmes. Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux,—et pour le plus grand désespoir de M. Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d’être aussi aimable que sa femme, mais qui riant pour de bon s’essoufflait vite et avait été distancé et vaincu par cette ruse d’une incessante et fictive hilarité—, elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d’oiseau qu’une taie commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n’eût eu que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n’en laissaient plus rien voir, elle avait l’air de s’efforcer de réprimer, d’anéantir un rire qui, si elle s’y fût abandonnée, l’eût conduite à l’évanouissement. 🔊✎
← Le docteur cependant, poussait Mme Verdurin à laisser jouer le pianiste, non pas qu’il crût feints les troubles que la musique lui donnait—il y reconnaissait certains états neurasthéniques—mais par cette habitude qu’ont beaucoup de médecins, de faire fléchir immédiatement la sévérité de leurs prescriptions dès qu’est en jeu, chose qui leur semble beaucoup plus importante, quelque réunion mondaine dont ils font partie et dont la personne à qui ils conseillent d’oublier pour une fois sa dyspepsie, ou sa grippe, est un des facteurs essentiels. 🔊✎
← Il poussa jusqu’à la Maison Dorée, entra deux fois chez Tortoni et, sans l’avoir vue davantage, venait de ressortir du Café Anglais, marchant à grands pas, l’air hagard, pour rejoindre sa voiture qui l’attendait au coin du boulevard des Italiens, quand il heurta une personne qui venait en sens contraire: c’était Odette; elle lui expliqua plus tard que n’ayant pas trouvé de place chez Prévost, elle était allée souper à la Maison Dorée dans un enfoncement où il ne l’avait pas découverte, et elle regagnait sa voiture. 🔊✎
← Parfois c’était pour plusieurs jours qu’elle s’absentait, les Verdurin l’emmenaient voir les tombeaux de Dreux, ou à Compiègne admirer, sur le conseil du peintre, des couchers de soleil en forêt et on poussait jusqu’au château de Pierrefonds. 🔊✎
← Et d’ailleurs elle n’a pas paru plus ravie que cela, elle n’a encore dit ni oui ni non; espérons qu’elle refusera, grand Dieu! Entendre du Wagner pendant quinze jours avec elle qui s’en soucie comme un poisson d’une pomme, ce serait gai!» Et sa haine, tout comme son amour, ayant besoin de se manifester et d’agir, il se plaisait à pousser de plus en plus loin ses imaginations mauvaises, parce que, grâce aux perfidies qu’il prêtait à Odette, il la détestait davantage et pourrait si—ce qu’il cherchait à se figurer—elles se trouvaient être vraies, avoir une occasion de la punir et d’assouvir sur elle sa rage grandissante. 🔊✎
← Telle comme une divinité méchante, sa jalousie inspirait Swann et le poussait à sa perte. 🔊✎