← Peut-être qu’on vous favorisera plus que moi, dit Mme Verdurin, sur un ton qui feignait d’être piqué, et qu’on vous montrera le portrait de Cottard (elle l’avait commandé au peintre). Pensez bien, «monsieur» Biche, rappela-t-elle au peintre, à qui c’était une plaisanterie consacrée de dire monsieur, à rendre le joli regard, le petit côté fin, amusant, de l’œil. Vous savez que ce que je veux surtout avoir, c’est son sourire, ce que je vous ai demandé c’est le portrait de son sourire. 🔊✎
← Le docteur cependant, poussait Mme Verdurin à laisser jouer le pianiste, non pas qu’il crût feints les troubles que la musique lui donnait—il y reconnaissait certains états neurasthéniques—mais par cette habitude qu’ont beaucoup de médecins, de faire fléchir immédiatement la sévérité de leurs prescriptions dès qu’est en jeu, chose qui leur semble beaucoup plus importante, quelque réunion mondaine dont ils font partie et dont la personne à qui ils conseillent d’oublier pour une fois sa dyspepsie, ou sa grippe, est un des facteurs essentiels. 🔊✎
← D’ailleurs lui et Mme Cottard avec une sorte de bon sens comme en ont aussi certaines gens du peuple se gardaient bien de donner une opinion ou de feindre l’admiration pour une musique qu’ils s’avouaient l’un à l’autre, une fois rentrés chez eux, ne pas plus comprendre que la peinture de «M. Biche». 🔊✎
← Et cependant ce n’était pas seulement la lassitude d’Odette qu’il s’ingéniait à prévenir, c’était quelquefois aussi la sienne propre; sentant que depuis qu’Odette avait toutes facilités pour le voir, elle semblait n’avoir pas grand’chose à lui dire, il craignait que les façons un peu insignifiantes, monotones, et comme définitivement fixées, qui étaient maintenant les siennes quand ils étaient ensemble, ne finissent par tuer en lui cet espoir romanesque d’un jour où elle voudrait déclarer sa passion, qui seul l’avait rendu et gardé amoureux. Et pour renouveler un peu l’aspect moral, trop figé, d’Odette, et dont il avait peur de se fatiguer, il lui écrivait tout d’un coup une lettre pleine de déceptions feintes et de colères simulées qu’il lui faisait porter avant le dîner. 🔊✎
← Ainsi le simple fonctionnement de cet organisme social qu’était le petit «clan» prenait automatiquement pour Swann des rendez-vous quotidiens avec Odette et lui permettait de feindre une indifférence à la voir, ou même un désir de ne plus la voir, qui ne lui faisait pas courir de grands risques, puisque, quoi qu’il lui eût écrit dans la journée, il la verrait forcément le soir et la ramènerait chez elle. 🔊✎
← Mais c’était rare; car les jours où malgré tout ce qu’elle avait à faire et la crainte de ce que penserait le monde, elle arrivait à voir Swann, ce qui dominait maintenant dans son attitude était l’assurance: grand contraste, peut-être revanche inconsciente ou réaction naturelle de l’émotion craintive qu’aux premiers temps où elle l’avait connu, elle éprouvait auprès de lui, et même loin de lui, quand elle commençait une lettre par ces mots: «Mon ami, ma main tremble si fort que je peux à peine écrire» (elle le prétendait du moins et un peu de cet émoi devait être sincère pour qu’elle désirât d’en feindre davantage). Swann lui plaisait alors. 🔊✎