← Je me suis souvent fait raconter bien des années plus tard, quand je commençai à m’intéresser à son caractère à cause des ressemblances qu’en de tout autres parties il offrait avec le mien, que quand il écrivait à mon grand-père (qui ne l’était pas encore, car c’est vers l’époque de ma naissance que commença la grande liaison de Swann et elle interrompit longtemps ces pratiques) celui-ci, en reconnaissant sur l’enveloppe l’écriture de son ami, s’écriait: «Voilà Swann qui va demander quelque chose: à la garde!» Et soit méfiance, soit par le sentiment inconsciemment diabolique qui nous pousse à n’offrir une chose qu’aux gens qui n’en ont pas envie, mes grands-parents opposaient une fin de non-recevoir absolue aux prières les plus faciles à satisfaire qu’il leur adressait, comme de le présenter à une jeune fille qui dînait tous les dimanches à la maison, et qu’ils étaient obligés, chaque fois que Swann leur en reparlait, de faire semblant de ne plus voir, alors que pendant toute la semaine on se demandait qui on pourrait bien inviter avec elle, finissant souvent par ne trouver personne, faute de faire signe à celui qui en eût été si heureux. 🔊✎
← Mais la patience humaine a des bornes, et la mienne est à bout, se dit-il, comme si cette mission d’arracher Odette à une atmosphère de sarcasmes datait de plus longtemps que de quelques minutes, et comme s’il ne se l’était pas donnée seulement depuis qu’il pensait que ces sarcasmes l’avaient peut-être lui-même pour objet et tentaient de détacher Odette de lui. 🔊✎
← En lui parlant, en lui écrivant, elle n’avait plus de ces mots par lesquels elle cherchait à se donner l’illusion qu’il lui appartenait, faisant naître les occasions de dire «mon», «mien», quand il s’agissait de lui: «Vous êtes mon bien, c’est le parfum de notre amitié, je le garde», de lui parler de l’avenir, de la mort même, comme d’une seule chose pour eux deux. 🔊✎