thé

www.linternaute.fr

Quelque temps après cette présentation au théâtre, elle lui avait écrit pour lui demander à voir ses collections qui l’intéressaient tant, «elle, ignorante qui avait le goût des jolies choses», disant qu’il lui semblait qu’elle le connaîtrait mieux, quand elle l’aurait vu dans «son home» elle l’imaginait «si confortable avec son thé et ses livres», quoiqu’elle ne lui eût pas caché sa surprise qu’il habitât ce quartier qui devait être si triste et «qui était si peu smart pour lui qui l’était tant». 🔊

Et vous, avait-elle dit, vous ne viendriez pas une fois chez moi prendre le théIl avait allégué des travaux en train, une étudeen réalité abandonnée depuis des annéessur Ver Meer de Delft. « 🔊

Mais il n’entrait jamais chez elle. Deux fois seulement, dans l’après-midi, il était allé participer à cette opération capitale pour elle «prendre le thé». L’isolement et le vide de ces courtes rues (faites presque toutes de petits hôtels contigus, dont tout à coup venait rompre la monotonie quelque sinistre échoppe, témoignage historique et reste sordide du temps ces quartiers étaient encore mal famés), la neige qui était restée dans le jardin et aux arbres, le négligé de la saison, le voisinage de la nature, donnaient quelque chose de plus mystérieux à la chaleur, aux fleurs qu’il avait trouvées en entrant. 🔊

Odette fit à Swann «son» thé, lui demanda: «Citron ou crèmeet comme il répondit «crème», lui dit en riant: «Un nuageEt comme il le trouvait bon: «Vous voyez que je sais ce que vous aimezCe thé en effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même et l’amour a tellement besoin de se trouver une justification, une garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n’en seraient pas et finissent avec lui, que quand il l’avait quittée à sept heures pour rentrer chez lui s’habiller, pendant tout le trajet qu’il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet après-midi lui avait causée, il se répétait: «Ce serait bien agréable d’avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon théUne heure après, il reçut un mot d’Odette, et reconnut tout de suite cette grande écriture dans laquelle une affectation de raideur britannique imposait une apparence de discipline à des caractères informes qui eussent signifié peut-être pour des yeux moins prévenus le désordre de la pensée, l’insuffisance de l’éducation, le manque de franchise et de volonté. 🔊

Aussi, quand elle avait l’air heureux parce qu’elle devait aller à la Reine Topaze, ou que son regard devenait sérieux, inquiet et volontaire, si elle avait peur de manquer la rite des fleurs ou simplement l’heure du thé, avec muffins et toasts, au «Thé de la Rue Royale» elle croyait que l’assiduité était indispensable pour consacrer la réputation d’élégance d’une femme, Swann, transporté comme nous le sommes par le naturel d’un enfant ou par la vérité d’un portrait qui semble sur le point de parler, sentait si bien l’âme de sa maîtresse affleurer à son visage qu’il ne pouvait résister à venir l’y toucher avec ses lèvres. « 🔊

Un jour que Swann était sorti au milieu de l’après-midi pour faire une visite, n’ayant pas trouvé la personne qu’il voulait rencontrer, il eut l’idée d’entrer chez Odette à cette heure il n’allait jamais chez elle, mais il savait qu’elle était toujours à la maison à faire sa sieste ou à écrire des lettres avant l’heure du thé, et il aurait plaisir à la voir un peu sans la déranger. 🔊

Dans les moments Odette était auprès de lui, s’ils parlaient ensemble d’une action indélicate commise, ou d’un sentiment indélicat éprouvé, par un autre, elle les flétrissait en vertu des mêmes principes que Swann avait toujours entendu professer par ses parents et auxquels il était resté fidèle; et puis elle arrangeait ses fleurs, elle buvait une tasse de thé, elle s’inquiétait des travaux de Swann. 🔊

Mais qu’elle allât chez des maquerelles, se livrât à des orgies avec des femmes, qu’elle menât la vie crapuleuse de créatures abjectes, quelle divagation insensée à la réalisation de laquelle, Dieu merci, les chrysanthèmes imaginés, les thés successifs, les indignations vertueuses ne laissaient aucune place. 🔊

Frequency index

Alphabetical index