← Si cela était, j’avoue qu’il n’y a pas de supplice que je ne m’imposerais pour que la vieille bête me présentât à l’auteur de la sonate: d’abord le supplice de fréquenter la vieille bête, et qui doit être affreux. 🔊✎
← Odette fit à Swann «son» thé, lui demanda: «Citron ou crème?» et comme il répondit «crème», lui dit en riant: «Un nuage!» Et comme il le trouvait bon: «Vous voyez que je sais ce que vous aimez.» Ce thé en effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même et l’amour a tellement besoin de se trouver une justification, une garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n’en seraient pas et finissent avec lui, que quand il l’avait quittée à sept heures pour rentrer chez lui s’habiller, pendant tout le trajet qu’il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet après-midi lui avait causée, il se répétait: «Ce serait bien agréable d’avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon thé.» Une heure après, il reçut un mot d’Odette, et reconnut tout de suite cette grande écriture dans laquelle une affectation de raideur britannique imposait une apparence de discipline à des caractères informes qui eussent signifié peut-être pour des yeux moins prévenus le désordre de la pensée, l’insuffisance de l’éducation, le manque de franchise et de volonté. 🔊✎
← Mais la petite phrase, dès qu’il l’entendait, savait rendre libre en lui l’espace qui pour elle était nécessaire, les proportions de l’âme de Swann s’en trouvaient changées; une marge y était réservée à une jouissance qui elle non plus ne correspondait à aucun objet extérieur et qui pourtant au lieu d’être purement individuelle comme celle de l’amour, s’imposait à Swann comme une réalité supérieure aux choses concrètes. 🔊✎
← Et il arrive en effet souvent pour de plus grands que n’était Swann, pour un savant, pour un artiste, quand il n’est pas méconnu par ceux qui l’entourent, que celui de leurs sentiments qui prouve que la supériorité de son intelligence s’est imposée à eux, ce n’est pas leur admiration pour ses idées, car elles leur échappent, mais leur respect pour sa bonté. 🔊✎
← C’est qu’ils avaient très vite senti en lui un espace réservé, impénétrable, où il continuait à professer silencieusement pour lui-même que la princesse de Sagan n’était pas grotesque et que les plaisanteries de Cottard n’étaient pas drôles, enfin et bien que jamais il ne se départît de son amabilité et ne se révoltât contre leurs dogmes, une impossibilité de les lui imposer, de l’y convertir entièrement, comme ils n’en avaient jamais rencontré une pareille chez personne. 🔊✎
← Quel mensonge déprimant était-elle en train de faire à Swann pour qu’elle eût ce regard douloureux, cette voix plaintive qui semblaient fléchir sous l’effort qu’elle s’imposait, et demander grâce? 🔊✎