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Mais peu lui importait, il la considérait moins en elle-même,—en ce qu’elle pouvait exprimer pour un musicien qui ignorait l’existence et de lui et d’Odette quand il l’avait composée, et pour tous ceux qui l’entendraient dans des siècles—, que comme un gage, un souvenir de son amour qui, même pour les Verdurin que pour le petit pianiste, faisait penser à Odette en même temps qu’à lui, les unissait; c’était au point que, comme Odette, par caprice, l’en avait prié, il avait renoncé à son projet de se faire jouer par un artiste la sonate entière, dont il continua à ne connaître que ce passage. « 🔊

Et sans doute si le cocher l’avait interrompu en lui disant: «Cette dame est », il eut répondu: «Ah! oui, c’est vrai, la course que je vous avais donnée, tiens je n’aurais pas cru», et aurait continué à lui parler provision de bois pour lui cacher l’émotion qu’il avait eue et se laisser à lui-même le temps de rompre avec l’inquiétude et de se donner au bonheur. 🔊

La petite phrase continuait à s’associer pour Swann à l’amour qu’il avait pour Odette. Il sentait bien que cet amour, c’était quelque chose qui ne correspondait à rien d’extérieur, de constatable par d’autres que lui; il se rendait compte que les qualités d’Odette ne justifiaient pas qu’il attachât tant de prix aux moments passés auprès d’elle. 🔊

Or, n’osant pas se dire, par peur de ne pas le croire, qu’il aimerait toujours Odette, du moins en cherchant à supposer qu’il fréquenterait toujours les Verdurin (proposition qui, a priori, soulevait moins d’objections de principe de la part de son intelligence), il se voyait dans l’avenir continuant à rencontrer chaque soir Odette; cela ne revenait peut-être pas tout à fait au même que l’aimer toujours, mais, pour le moment, pendant qu’il l’aimait, croire qu’il ne cesserait pas un jour de la voir, c’est tout ce qu’il demandait. « 🔊

Comme Mme Verdurin donnait parfois à Swann ce qui seul pouvait constituer pour lui le bonheur; comme, tel soir il se sentait anxieux parce qu’Odette avait causé avec un invité plus qu’avec un autre, et , irrité contre elle, il ne voulait pas prendre l’initiative de lui demander si elle reviendrait avec lui, Mme Verdurin lui apportait la paix et la joie en disant spontanément: «Odette, vous allez ramener M. Swann, n’est-ce pas»? comme cet été qui venait et il s’était d’abord demandé avec inquiétude si Odette ne s’absenterait pas sans lui, s’il pourrait continuer à la voir tous les jours, Mme Verdurin allait les inviter à le passer tous deux chez elle à la campagne,—Swann laissant à son insu la reconnaissance et l’intérêt s’infiltrer dans son intelligence et influer sur ses idées, allait jusqu’à proclamer que Mme Verdurin était une grande âme. 🔊

C’était pourtant une chose assez peu importante pour que l’air douloureux qu’elle continuait d’avoir finît par l’étonner. 🔊

Car la tendresse de Swann continuait à garder le même caractère que lui avait imprimé dès le début à la fois l’ignorance il était de l’emploi des journées d’Odette et la paresse cérébrale qui l’empêchait de suppléer à l’ignorance par l’imagination. 🔊

Et il continua à serrer la main à tous ces amis qu’il avait soupçonnés, avec cette réserve de pur style qu’ils avaient peut-être cherché à le désespérer. 🔊

S’il était resté longtemps sans la voir, ceux qui mouraient n’auraient pas été remplacés par d’autres. Mais la présence d’Odette continuait d’ensemencer le cœur de Swann de tendresse et de soupçons alternés. 🔊

Car on ne peut pas changer, c’est-à-dire devenir une autre personne, tout en continuant à obéir aux sentiments de celle qu’on n’est plus. 🔊

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