créature

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Grand repos, mystérieuse rénovation pour Swann,—pour lui dont les yeux quoique délicats amateurs de peinture, dont l’esprit quoique fin observateur de mœurs, portaient à jamais la trace indélébile de la sécheresse de sa viede se sentir transformé en une créature étrangère à l’humanité, aveugle, dépourvue de facultés logiques, presque une fantastique licorne, une créature chimérique ne percevant le monde que par l’ouïe. 🔊

Et comment une créature dont le visage est fait à l’image de Dieu peut-elle trouver matière à rire dans ces plaisanteries nauséabondes? 🔊

Vois-tu, «Une nuit de Cléopâtre» (quel titre!) n’est rien dans la circonstance. Ce qu’il faut savoir c’est si vraiment tu es cet être qui est au dernier rang de l’esprit, et même du charme, l’être méprisable qui n’est pas capable de renoncer à un plaisir. Alors, si tu es cela, comment pourrait-on t’aimer, car tu n’es même pas une personne, une créature définie, imparfaite, mais du moins perfectible? 🔊

Quand Odette cesserait d’être pour lui une créature toujours absente, regrettée, imaginaire, quand le sentiment qu’il aurait pour elle ne serait plus ce même trouble mystérieux que lui causait la phrase de la sonate, mais de l’affection, de la reconnaissance quand s’établiraient entre eux des rapports normaux qui mettraient fin à sa folie et à sa tristesse, alors sans doute les actes de la vie d’Odette lui paraîtraient peu intéressants en eux-mêmescomme il avait déjà eu plusieurs fois le soupçon qu’ils étaient, par exemple le jour il avait lu à travers l’enveloppe la lettre adressée à Forcheville. 🔊

Souvent sans lui rien dire il la regardait, il songeait; elle lui disait: «Comme tu as l’air tristeIl n’y avait pas bien longtemps encore, de l’idée qu’elle était une créature bonne, analogue aux meilleures qu’il eût connues, il avait passé à l’idée qu’elle était une femme entretenue; inversement il lui était arrivé depuis de revenir de l’Odette de Crécy, peut-être trop connue des fêtards, des hommes à femmes, à ce visage d’une expression parfois si douce, à cette nature si humaine. 🔊

Ces réputations-là, même vraies, sont faites avec les idées des autres»; il pensait que cette légendefût-elle authentiqueétait extérieure à Odette, n’était pas en elle comme une personnalité irréductible et malfaisante; que la créature qui avait pu être amenée à mal faire, c’était une femme aux bons yeux, au cœur plein de pitié pour la souffrance, au corps docile qu’il avait tenu, qu’il avait serré dans ses bras et manié, une femme qu’il pourrait arriver un jour à posséder toute, s’il réussissait à se rendre indispensable à elle. 🔊

Elle était , souvent fatiguée, le visage vidé pour un instant de la préoccupation fébrile et joyeuse des choses inconnues qui faisaient souffrir Swann; elle écartait ses cheveux avec ses mains; son front, sa figure paraissaient plus larges; alors, tout d’un coup, quelque pensée simplement humaine, quelque bon sentiment comme il en existe dans toutes les créatures, quand dans un moment de repos ou de repliement elles sont livrées à elles-mêmes, jaillissait dans ses yeux comme un rayon jaune. Et aussitôt tout son visage s’éclairait comme une campagne grise, couverte de nuages qui soudain s’écartent, pour sa transfiguration, au moment du soleil couchant. 🔊

Certes, humaine à ce point de vue, elle appartenait pourtant à un ordre de créatures surnaturelles et que nous n’avons jamais vues, mais que malgré cela nous reconnaissons avec ravissement quand quelque explorateur de l’invisible arrive à en capter une, à l’amener, du monde divin il a accès, briller quelques instants au-dessus du nôtre. 🔊

Mais qu’elle allât chez des maquerelles, se livrât à des orgies avec des femmes, qu’elle menât la vie crapuleuse de créatures abjectes, quelle divagation insensée à la réalisation de laquelle, Dieu merci, les chrysanthèmes imaginés, les thés successifs, les indignations vertueuses ne laissaient aucune place. 🔊

La vérité qu’il chérissait c’était celle que lui dirait Odette; mais lui-même, pour obtenir cette vérité, ne craignait pas de recourir au mensonge, le mensonge qu’il ne cessait de peindre à Odette comme conduisant à la dégradation toute créature humaine. 🔊

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