← D’abord, il n’avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. 🔊✎
← Il espérait en tremblant, ce soir-là (mais Odette, se disait-il, si elle était dupe de sa ruse, ne pouvait le deviner), que c’était la possession de cette femme qui allait sortir d’entre leurs larges pétales mauves; et le plaisir qu’il éprouvait déjà et qu’Odette ne tolérait peut-être, pensait-il, que parce qu’elle ne l’avait pas reconnu, lui semblait, à cause de cela—comme il put paraître au premier homme qui le goûta parmi les fleurs du paradis terrestre—un plaisir qui n’avait pas existé jusque-là, qu’il cherchait à créer, un plaisir—ainsi que le nom spécial qu’il lui donna en garda la trace—entièrement particulier et nouveau. 🔊✎
← Et comme les qualités qu’il croyait intrinsèques aux Verdurin n’étaient que le reflet sur eux de plaisirs qu’avait goûtés chez eux son amour pour Odette, ces qualités devenaient plus sérieuses, plus profondes, plus vitales, quand ces plaisirs l’étaient aussi. 🔊✎
← Il se disait que le charme du printemps qu’il ne pouvait pas aller goûter à Combray, il le trouverait du moins dans l’île des Cygnes ou à Saint-Cloud. 🔊✎
← Certes, il souffrait de voir cette lumière dans l’atmosphère d’or de laquelle se mouvait derrière le châssis le couple invisible et détesté, d’entendre ce murmure qui révélait la présence de celui qui était venu après son départ, la fausseté d’Odette, le bonheur qu’elle était en train de goûter avec lui. 🔊✎
← De sorte qu’il en arrivait à regretter chaque plaisir qu’il goûtait près d’elle, chaque caresse inventée et dont il avait eu l’imprudence de lui signaler la douceur, chaque grâce qu’il lui découvrait, car il savait qu’un instant après, elles allaient enrichir d’instruments nouveaux son supplice. 🔊✎
← Il avait le brusque soupçon que cette heure passée chez Odette, sous la lampe, n’était peut-être pas une heure factice, à son usage à lui (destinée à masquer cette chose effrayante et délicieuse à laquelle il pensait sans cesse sans pouvoir bien se la représenter, une heure de la vraie vie d’Odette, de la vie d’Odette quand lui n’était pas là), avec des accessoires de théâtre et des fruits de carton, mais était peut-être une heure pour de bon de la vie d’Odette, que s’il n’avait pas été là elle eût avancé à Forcheville le même fauteuil et lui eût versé non un breuvage inconnu, mais précisément cette orangeade; que le monde habité par Odette n’était pas cet autre monde effroyable et surnaturel où il passait son temps à la situer et qui n’existait peut-être que dans son imagination, mais l’univers réel, ne dégageant aucune tristesse spéciale, comprenant cette table où il allait pouvoir écrire et cette boisson à laquelle il lui serait permis de goûter, tous ces objets qu’il contemplait avec autant de curiosité et d’admiration que de gratitude, car si en absorbant ses rêves ils l’en avaient délivré, eux en revanche, s’en étaient enrichis, ils lui en montraient la réalisation palpable, et ils intéressaient son esprit, ils prenaient du relief devant ses regards, en même temps qu’ils tranquillisaient son cœur. 🔊✎
← Pourquoi croire qu’elle goûterait là-bas avec Forcheville ou avec d’autres des plaisirs enivrants qu’elle n’avait pas connus auprès de lui et que seule sa jalousie forgeait de toutes pièces? 🔊✎
← Et,—au lieu qu’elle allait partir brouillée avec lui, sans l’avoir revu—, s’il lui envoyait cet argent, s’il l’encourageait à ce voyage et s’occupait de le lui rendre agréable, elle allait accourir, heureuse, reconnaissante, et il aurait cette joie de la voir qu’il n’avait pas goûtée depuis près d’une semaine et que rien ne pouvait lui remplacer. 🔊✎
← Et dans la faible mesure où ce détachement n’était pas absolu, la raison de ce plaisir nouveau que goûtait Swann, c’était de pouvoir émigrer un moment dans les rares parties de lui-même restées presque étrangères à son amour, à son chagrin. 🔊✎