← Comme le sens critique qu’il croyait exercer sur tout lui faisait complètement défaut, le raffinement de politesse qui consiste à affirmer, à quelqu’un qu’on oblige, sans souhaiter d’en être cru, que c’est à lui qu’on a obligation, était peine perdue avec lui, il prenait tout au pied de la lettre. Quel que fût l’aveuglement de Mme Verdurin à son égard, elle avait fini, tout en continuant à le trouver très fin, par être agacée de voir que quand elle l’invitait dans une avant-scène à entendre Sarah Bernhardt, lui disant, pour plus de grâce: «Vous êtes trop aimable d’être venu, docteur, d’autant plus que je suis sûre que vous avez déjà souvent entendu Sarah Bernhardt, et puis nous sommes peut-être trop près de la scène», le docteur Cottard qui était entré dans la loge avec un sourire qui attendait pour se préciser ou pour disparaître que quelqu’un d’autorisé le renseignât sur la valeur du spectacle, lui répondait: «En effet on est beaucoup trop près et on commence à être fatigué de Sarah Bernhardt. 🔊✎
← Au fur et à mesure qu’elle avançait dans sa toilette, chaque mouvement qu’elle faisait rapprochait Swann du moment où il faudrait la quitter, où elle s’enfuirait d’un élan irrésistible; et quand, enfin prête, plongeant une dernière fois dans son miroir ses regards tendus et éclairés par l’attention, elle remettait un peu de rouge à ses lèvres, fixait une mèche sur son front et demandait son manteau de soirée bleu ciel avec des glands d’or, Swann avait l’air si triste qu’elle ne pouvait réprimer un geste d’impatience et disait: «Voilà comme tu me remercies de t’avoir gardé jusqu’à la dernière minute. Moi qui croyais avoir fait quelque chose de gentil. C’est bon à savoir pour une autre fois!» Parfois, au risque de la fâcher, il se promettait de chercher à savoir où elle était allée, il rêvait d’une alliance avec Forcheville qui peut-être aurait pu le renseigner. 🔊✎
← Seulement de temps à autre, il laissait entendre à Odette que par méchanceté, on lui racontait tout ce qu’elle faisait; et, se servant à propos, d’un détail insignifiant mais vrai, qu’il avait appris par hasard, comme s’il était le seul petit bout qu’il laissât passer malgré lui, entre tant d’autres, d’une reconstitution complète de la vie d’Odette qu’il tenait cachée en lui, il l’amenait à supposer qu’il était renseigné sur des choses qu’en réalité il ne savait ni même ne soupçonnait, car si bien souvent il adjurait Odette de ne pas altérer la vérité, c’était seulement, qu’il s’en rendît compte ou non, pour qu’Odette lui dît tout ce qu’elle faisait. 🔊✎