M. Verdurin fit remarquer que pourtant Swann n’avait pas apprécié la tante du pianiste.
—Il s’est senti un peu dépaysé, cet homme, répondit Mme Verdurin, tu ne voudrais pourtant pas que, la première fois, il ait déjà le ton de la maison comme Cottard qui fait partie de notre petit clan depuis plusieurs années. La première fois ne compte pas, c’était utile pour prendre langue. 🔊✎ Odette, il est convenu qu’il viendra nous retrouver demain au Châtelet. Si vous alliez le prendre? 🔊✎
—Ah! enfin, comme vous voudrez. Pourvu qu’il n’aille pas lâcher au dernier moment!
À la grande surprise de Mme Verdurin, il ne lâcha jamais. 🔊✎ Il allait les rejoindre n’importe où, quelquefois dans les restaurants de banlieue où on allait peu encore, car ce n’était pas la saison, plus souvent au théâtre, que Mme Verdurin aimait beaucoup, et comme un jour, chez elle, elle dit devant lui que pour les soirs de premières, de galas, un coupe-file leur eût été fort utile, que cela les avait beaucoup gênés de ne pas en avoir le jour de l’enterrement de Gambetta, Swann qui ne parlait jamais de ses relations brillantes, mais seulement de celles mal côtées qu’il eût jugé peu délicat de cacher, et au nombre desquelles il avait pris dans le faubourg Saint-Germain l’habitude de ranger les relations avec le monde officiel, répondit: 🔊✎
—Je vous promets de m’en occuper, vous l’aurez à temps pour la reprise des Danicheff, je déjeune justement demain avec le Préfet de police à l’Elysée. 🔊✎
—Comment ça, à l’Elysée? cria le docteur Cottard d’une voix tonnante. 🔊✎
—Oui, chez M. Grévy, répondit Swann, un peu gêné de l’effet que sa phrase avait produit. 🔊✎
Et le peintre dit au docteur en manière de plaisanterie:
Généralement, une fois l’explication donnée, Cottard disait: «Ah! bon, bon, ça va bien» et ne montrait plus trace d’émotion. 🔊✎
Mais cette fois-ci, les derniers mots de Swann, au lieu de lui procurer l’apaisement habituel, portèrent au comble son étonnement qu’un homme avec qui il dînait, qui n’avait ni fonctions officielles, ni illustration d’aucune sorte, frayât avec le Chef de l’État. 🔊✎
—Comment ça, M. Grévy? vous connaissez M. Grévy? dit-il à Swann de l’air stupide et incrédule d’un municipal à qui un inconnu demande à voir le Président de la République et qui, comprenant par ces mots «à qui il a affaire», comme disent les journaux, assure au pauvre dément qu’il va être reçu à l’instant et le dirige sur l’infirmerie spéciale du dépôt. 🔊✎
—Je le connais un peu, nous avons des amis communs (il n’osa pas dire que c’était le prince de Galles), du reste il invite très facilement et je vous assure que ces déjeuners n’ont rien d’amusant, ils sont d’ailleurs très simples, on n’est jamais plus de huit à table, répondit Swann qui tâchait d’effacer ce que semblaient avoir de trop éclatant aux yeux de son interlocuteur, des relations avec le Président de la République. 🔊✎