← Il n’était pas comme tant de gens qui par paresse, ou sentiment résigné de l’obligation que crée la grandeur sociale de rester attaché à un certain rivage, s’abstiennent des plaisirs que la réalité leur présente en dehors de la position mondaine où ils vivent cantonnés jusqu’à leur mort, se contentant de finir par appeler plaisirs, faute de mieux, une fois qu’ils sont parvenus à s’y habituer, les divertissements médiocres ou les supportables ennuis qu’elle renferme. Swann, lui, ne cherchait pas à trouver jolies les femmes avec qui il passait son temps, mais à passer son temps avec les femmes qu’il avait d’abord trouvées jolies. 🔊✎
← Mais quand il apprit qu’une dame qui se trouvait près de lui était Mme Cottard, il pensa qu’un mari aussi jeune n’aurait pas cherché à faire allusion devant sa femme à des divertissements de ce genre; et il cessa de donner à l’air entendu du docteur la signification qu’il redoutait. 🔊✎
← Là, comme au fond de tous les divertissements, repas, musique, jeux, soupers costumés, parties de campagne, parties de théâtre, même les rares «grandes soirées» données pour les «ennuyeux», il y avait la présence d’Odette, la vue d’Odette, la conversation avec Odette, dont les Verdurin faisaient à Swann, en l’invitant, le don inestimable, il se plaisait mieux que partout ailleurs dans le «petit noyau», et cherchait à lui attribuer des mérites réels, car il s’imaginait ainsi que par goût il le fréquenterait toute sa vie. 🔊✎
← Par cet amour Swann avait été tellement détaché de tous les intérêts, que quand par hasard il retournait dans le monde en se disant que ses relations comme une monture élégante qu’elle n’aurait pas d’ailleurs su estimer très exactement, pouvaient lui rendre à lui-même un peu de prix aux yeux d’Odette (et ç’aurait peut-être été vrai en effet si elles n’avaient été avilies par cet amour même, qui pour Odette dépréciait toutes les choses qu’il touchait par le fait qu’il semblait les proclamer moins précieuses), il y éprouvait, à côté de la détresse d’être dans des lieux, au milieu de gens qu’elle ne connaissait pas, le plaisir désintéressé qu’il aurait pris à un roman ou à un tableau où sont peints les divertissements d’une classe oisive, comme, chez lui, il se complaisait à considérer le fonctionnement de sa vie domestique, l’élégance de sa garde-robe et de sa livrée, le bon placement de ses valeurs, de la même façon qu’à lire dans Saint-Simon, qui était un de ses auteurs favoris, la mécanique des journées, le menu des repas de Mme de Maintenon, ou l’avarice avisée et le grand train de Lulli. 🔊✎
← Certes, il avait trop longtemps oublié qu’il était le «fils Swann» pour ne pas ressentir quand il le redevenait un moment, un plaisir plus vif que ceux qu’il eût pu éprouver le reste du temps et sur lesquels il était blasé; et si l’amabilité des bourgeois, pour lesquels il restait surtout cela, était moins vive que celle de l’aristocratie (mais plus flatteuse d’ailleurs, car chez eux du moins elle ne se sépare jamais de la considération), une lettre d’altesse, quelques divertissements princiers qu’elle lui proposât, ne pouvait lui être aussi agréable que celle qui lui demandait d’être témoin, ou seulement d’assister à un mariage dans la famille de vieux amis de ses parents dont les uns avaient continué à le voir—comme mon grand-père qui, l’année précédente, l’avait invité au mariage de ma mère—et dont certains autres le connaissaient personnellement à peine mais se croyaient des devoirs de politesse envers le fils, envers le digne successeur de feu M. Swann. 🔊✎